Résidents et propriétaires à couteaux tirés
Bien souvent pro et anti-squatteurs se déchirent et en viennent aux mains, ces voies de fait donnant par la suite un certain écho à ces délits, dans les médias. À Belle-Île ce sont surtout les défenseurs des squatteurs qui se sont fait entendre en venant manifester leur soutien devant le tribunal, présentant les trois compères comme des « lanceurs d’alerte ». Car, outre le fait qu’il s’agisse d’une résidence secondaire inoccupée, la situation à Belle-Île est particulière.
En effet l’occupation des logements sur l’île ne satisfait pas bon nombre de résidents à l’année: le nombre de résidences secondaires a été multiplié par trois en 50 ans et dans certaines communes ces résidences représentent plus de 60 % du parc immobilier. Dans certaines communes du littoral et surtout dans le Golfe du Morbihan ce taux atteint les 80%. De quoi faire exploser les prix de l’immobilier et entraîner un départ des jeunes adultes natifs de la région vers des zones où se loger coûte moins cher, alors que les résidences secondaires restent inoccupées par leurs propriétaires une bonne partie de l’année. La moyenne du temps d’occupation de ces résidences est très faible puisqu’une personne active y passe moins de six semaines alors qu’une personne sans activité n’y séjournera guère plus : en moyenne neuf semaines dans l’année.
Une situation qui se généralise
Même si elle y est particulièrement présente, cette situation ne concerne pas que la Bretagne : l’augmentation du nombre de résidences secondaires et des meublés touristiques a fait grimper les prix dans nombre d’autres régions de France. Au Pays basque le prix du mètre carré a ainsi augmenté de 34,6 % en 5 ans, et encore +1% en un an malgré la crise liée au coronavirus. Autre exemple encore plus révélateur, la Corse. De 2009 à 2019 le prix du foncier a littéralement explosé : 138% et le coût du logement a bondi de 36%.
Un débat se pose donc sur la légitimité sociale de résidences secondaires très peu occupées, afin de déterminer si elles sont pour les communes des richesses ou des boulets. Certes, ces habitations contribuent au dynamisme socio-économique local, que ce soit de façon directe lorsqu’elles sont occupées, comme de façon indirecte par les impôts et taxes qui sont prélevés les concernant. Par ailleurs les propriétaires de résidences secondaires sont généralement âgés, 70% ont plus de 60 ans et viennent majoritairement des catégories socio-professionnelles supérieures. Cela signifie du temps et des prédispositions pour s’engager localement, comme en Charente-Maritime où un résident secondaire sur quatre participe à une association dans la commune de sa résidence secondaire. Enfin, ces habitations sont des pôles d’attractivité puisque vont y être invités familles et amis, qui seront autant de consommateurs locaux pendant la durée de leur séjour.
Cependant, comme la bronca des bellilois l’a mis en évidence, la prolifération des résidences secondaires tend le marché de l’immobilier à la hausse et oblige à la construction de nouveaux logements et donc à une urbanisation galopante. Et quand la croissance de l’urbanisme ne suit pas, les jeunes générations autochtones sont contraintes de s’éloigner. Par ailleurs les saisonniers, nécessaires au secteur du tourisme, ne peuvent se loger sur place et leur recrutement s’avère de plus en plus compliqué.
Des problèmes de fonds persistants
Si le squat, action illégale et d’une rare violence à l’égard du propriétaire, est inacceptable lorsqu’il prive ce dernier de sa résidence principale, ou d’un bien dont il a un besoin vital pour lui et sa famille, l’occupation « agit prop » de résidences secondaires inoccupées a le mérite de poser la question du logement, et d’appeler bruyamment l’attention du politique.
Aujourd’hui la France n’a jamais compté autant de logements vacants. Ainsi le premier janvier 2021, 8,3% du parc immobilier étaient vacants, soit 3,085 millions de logements. Mais, parallèlement, la acheter un logement est de plus en plus difficile à Paris, Lyon, Bordeaux, Lille, Nantes ou Nice, les prix ayant plus que triplé en vingt ans sans que le pouvoir d’achat des ménages ne suive cette dynamique. Les villes moyennes et les petites villes sont donc de plus en plus prisées, a fortiori avec la généralisation du télétravail, ce qui se répercute sur les prix. Se pose également la question de la soutenabilité de l’endettement des ménages qui s’est fortement alourdi.
Si le droit de propriété est consacré par l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, le nombre de personnes pouvant en jouir concrètement semble stagner. La France possède l’un des taux de propriétaires occupants les plus faibles d’Europe soit 58%, un chiffre en stagnation depuis 10 ans. Ce taux est disparate sur le territoire puisque dans les 50 premières villes françaises moins de la moitié des ménages sont propriétaires. Il ne faudrait donc pas que l’exercice de ce droit devienne à terme le privilège d’une minorité de la population, si ces chiffres venaient à régresser.
Des propositions disparates sans solution globale
Emmanuel Macron, alors candidat, avait promis un « choc de l’offre », mais les dernières mesures des pouvoir publics ne semblent pas apporter pour autant une réponse adéquate et pérenne.
Pour pallier la difficulté d’accéder à un logement le rapport Rebsamen vient de proposer notamment la multiplication de la construction, notamment dans les zones à flux tendus. Mais cela ne va sans poser de sérieux problèmes sur le plan tant urbanistique qu’écologique.
Un élu de la région Bretagne a de son côté proposé une solution intéressante déjà testée dans la province autonome de Bolzano en Italie et sur l’Archipel de Aland en Finlande : la création d’un statut de résident comme condition pour acheter un bien immobilier. Ce statut pourrait être obtenu au bout d’une année sur place. L’élu propose une mise en place de ce mécanisme au cas par cas dans certaines zones uniquement, pour éviter notamment d’instaurer ce statut dans celles où il y a peu d’acheteurs, ce qui pourrait conduire les propriétaires locaux à la paupérisation.
Les autres modèles ne manquent pas puisque par exemple l’île Maurice a mis en place un système assez proche. En effet pour vivre sur l’île il est nécessaire d’obtenir un statut de résident et pour cela d’acheter un logement dans des zones préalablement définies par les autorités locales.
Au total, on recense de nombreuses préconisations, qui semblent le fruit de diagnostics régionaux, mais n’offrent pas de vision d’ensemble à l’échelle nationale. Une loi – cadre, définissant des principes généraux, et laissant les échelons régionaux en aménager les modalités selon leurs caractéristiques propres, serait peut-être à même de poser les bases de solutions pragmatiques, à rebours d’un jacobinisme parfois stérilisant.
Le logement est donc un sujet crucial mais malheureusement peu présent dans les programmes des candidats à la présidentielle. De fait, selon les enquêtes, ce thème serait la dernière préoccupation des français, les instituts de sondage allant même jusqu’à ne pas le mentionner dans les questionnaires. De quoi susciter de nouvelles vocations de « squatteurs d’alerte » ?