Extrait pp.26-28
« Arthur se dit qu’il était finalement bien avec Jacques Dubois, loin des jeunes députés à peine plus âgés que lui et tous entièrement dédiés à leurs évolutions de carrière. Son boss était malheureusement plus proche de la fin. Il n’avait pas à se demander si telle ou telle action allait lui coûter cher : il ne devait plus rien à personne. Au contraire, il avait créé en politique cette chose rare, mais qui permet de rester en haut de la chaîne alimentaire : la redevabilité. Il obtenait toujours ce qu’il voulait, pour toutes les fois où il s’était effacé au bénéfice d’autres, qui maintenant lui en devaient une. Et Dubois, quelques fois pressenti, n’avait jamais accédé aux postes gouvernementaux. C’était comme ça et Arthur ne l’avait jamais senti amer à ce propos, même si des ambitions ministérielles ne pouvaient que lui trotter quelque part dans un coin de la tête. Le jeu parlementaire, son oralité, ses débats, la stratégie quasi-militaire qu’il fallait souvent déployer pour atteindre le but recherché lui plaisait davantage. Son collaborateur y avait aussi pris goût, sous l’impulsion de son mentor. Quoi qu’il en soit, son député était roublard, peut-être, mais passionné, certainement. Un homme qui avait donné sa vie à la politique ne pouvait pas s’être totalement désintéressé du bien commun.
Même si sa façon de le servir pouvait s’avérer très autocentrée. Arthur se souvenait l’avoir appris à ses dépens : quelques semaines après sa prise de fonction, le patron avait eu les honneurs d’un entrefilet dans le Canard Enchaîné. Le Graal des casseroles en quelque sorte, et une porte d’entrée directe sur l’enfer médiatique, si la contre-attaque n’était pas gérée correctement. Comme beaucoup de députés, à une époque où les indemnités parlementaires étaient beaucoup moins contrôlées qu’aujourd’hui, Dubois n’avait pas hésité à acquérir certains biens personnels sur les deniers de l’État. À commencer par une première permanence, achetée et payée par l’Assemblée au profit du député, qu’il avait depuis vendue, avec une belle plus-value. Dubois avait bénéficié du même montage pour s’offrir, au fil des années, deux berlines allemandes. Incompréhensible aux yeux du grand public aujourd’hui, aucunement répréhensible au moment des faits. Mais la dictature de la transparence avait parlé et le jugement était bien vite rendu dans ce tribunal populaire : le député Jacques Dubois devait rendre l’argent. Ce qu’il fit, dans un exercice médiatique qu’Arthur avait organisé méticuleusement : on le voyait, dans un reportage de France 3 Pas-de-Calais, se rendre auprès de l’administration de l’Assemblée pour régulariser sa situation, chèque en main. Il fallait prendre la transparence de court et en montrer toujours plus : à charge aux prochains de faire mieux. La petite mise en scène avait calmé tout le monde et évité la grogne en circonscription, quand bien même personne n’était dupe. Le député, en revanche, ne s’en était jamais vraiment remis :
- Voilà, j’ai bientôt soixante-dix balais et je me fais humilier à devoir payer je sais pas combien. Enfin merde, je suis pas un criminel. Tout le monde faisait ça, c’est comme ça qu’on a financé les partis, les campagnes, on n’avait aucun autre mécanisme à l’époque. C’était le Far West et on me reproche d’avoir braqué une diligence…Après cet acte de contrition, Jacques Dubois n’avait plus été le même. Il avait vu le vent tourner, contemplé l’abîme de la déchéance, qu’il connaissait trop bien pour avoir vu d’autres politiques y sombrer.
Mais qu’importe les états d’âme du patron, Arthur avait compris avec cette affaire qu’il était fait pour ce métier : il y avait de l’adrénaline, du rythme, du mouvement. Les quelques jours de tempête s’étaient transformés en un tunnel qu’il traversait à deux cents à l’heure. Quand on a goûté à ça une première fois, on ne peut que continuer. Et puis l’après-midi lui avait fait l’effet d’une gueule de bois. La petite routine de travail s’était installée : préparer des notes que personne ne lisait, traiter des mails sans jamais avoir de réponse, amender des textes en sachant que la modification ne passerait pas... Il n’était pas blasé, mais trop souvent frustré. Et ce vendredi quasi-monacal ne faisait que le lui rappeler. »
Même si sa façon de le servir pouvait s’avérer très autocentrée. Arthur se souvenait l’avoir appris à ses dépens : quelques semaines après sa prise de fonction, le patron avait eu les honneurs d’un entrefilet dans le Canard Enchaîné. Le Graal des casseroles en quelque sorte, et une porte d’entrée directe sur l’enfer médiatique, si la contre-attaque n’était pas gérée correctement. Comme beaucoup de députés, à une époque où les indemnités parlementaires étaient beaucoup moins contrôlées qu’aujourd’hui, Dubois n’avait pas hésité à acquérir certains biens personnels sur les deniers de l’État. À commencer par une première permanence, achetée et payée par l’Assemblée au profit du député, qu’il avait depuis vendue, avec une belle plus-value. Dubois avait bénéficié du même montage pour s’offrir, au fil des années, deux berlines allemandes. Incompréhensible aux yeux du grand public aujourd’hui, aucunement répréhensible au moment des faits. Mais la dictature de la transparence avait parlé et le jugement était bien vite rendu dans ce tribunal populaire : le député Jacques Dubois devait rendre l’argent. Ce qu’il fit, dans un exercice médiatique qu’Arthur avait organisé méticuleusement : on le voyait, dans un reportage de France 3 Pas-de-Calais, se rendre auprès de l’administration de l’Assemblée pour régulariser sa situation, chèque en main. Il fallait prendre la transparence de court et en montrer toujours plus : à charge aux prochains de faire mieux. La petite mise en scène avait calmé tout le monde et évité la grogne en circonscription, quand bien même personne n’était dupe. Le député, en revanche, ne s’en était jamais vraiment remis :
- Voilà, j’ai bientôt soixante-dix balais et je me fais humilier à devoir payer je sais pas combien. Enfin merde, je suis pas un criminel. Tout le monde faisait ça, c’est comme ça qu’on a financé les partis, les campagnes, on n’avait aucun autre mécanisme à l’époque. C’était le Far West et on me reproche d’avoir braqué une diligence…Après cet acte de contrition, Jacques Dubois n’avait plus été le même. Il avait vu le vent tourner, contemplé l’abîme de la déchéance, qu’il connaissait trop bien pour avoir vu d’autres politiques y sombrer.
Mais qu’importe les états d’âme du patron, Arthur avait compris avec cette affaire qu’il était fait pour ce métier : il y avait de l’adrénaline, du rythme, du mouvement. Les quelques jours de tempête s’étaient transformés en un tunnel qu’il traversait à deux cents à l’heure. Quand on a goûté à ça une première fois, on ne peut que continuer. Et puis l’après-midi lui avait fait l’effet d’une gueule de bois. La petite routine de travail s’était installée : préparer des notes que personne ne lisait, traiter des mails sans jamais avoir de réponse, amender des textes en sachant que la modification ne passerait pas... Il n’était pas blasé, mais trop souvent frustré. Et ce vendredi quasi-monacal ne faisait que le lui rappeler. »