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Robert Proctor : pour une histoire complète de l'industrie du tabac


Jeudi 31 Janvier 2013



Célèbre professeur d'Histoire des Sciences de l'Université Stanford, Robert Proctor est en 2012 l'auteur d'un nouvel ouvrage sur le thème de l'industrie cigarettière américaine. Golden Holocaust(1) se présente comme une étude réalisée à partir des archives des compagnies du tabac. Un livre qui vient étayer ses travaux précédents au sujet de l'agnotologie, soit la « science de l'ignorance ».



Robert Proctor : pour une histoire complète de l'industrie du tabac
À la fin des années 1990, la justice américaine imposait aux grandes compagnies productrices de tabac d'ouvrir l'ensemble de leurs archives. C'est à partir de cette documentation-fleuve que Robert Proctor a écrit Golden Holocaust. La richesse de cet ouvrage est ainsi notamment de savoir présenter le florilège de personnalités qui ont accepté de prêter main-forte à une industrie jugée mortifère par l'auteur.
 
Des acteurs aux musiciens, jusqu'aux sportifs et même aux médecins, aucune profession ne semble s'être tenue réellement à l'écart de ce que Robert Proctor désigne volontiers comme une démarche de désinformation poursuivie tout au long du XXe siècle. Mais ce qui intéresse surtout Robert Proctor, ce sont les cas où la science s'est fourvoyée dans les territoires obscurs de 'agnotologie. Ce que l'auteur cherche à dévoiler, c'est la mobilisation d'historiens, d'économistes, d'expert de la civilisation américaine qui ont accepté de supporter la cause de l'industrie du tabac en échange de contreparties.
 
La tâche de Robert Proctor pourrait passer pour une farce scientifique tant elle affiche son parti-pris. Mais l'auteur s'accommode fort bien de cette partialité à travers un constat simple : aux États-Unis, l'industrie du tabac est devenue une partie prenante de l'ensemble des activités de la société américaine et ce qui inclut la science. Ne serait-ce qu'en tant que sponsor, les compagnies cigarettières ont gagné un grand pouvoir. Et il n'y a aucune raison de penser qu'elles ne s'en servent pas pour défendre leurs intérêts. Et l'auteur de se prendre lui-même en exemple puisque son travail de recherche au sein des archives des cigarettiers a fait l'objet d'une injonction à les divulguer à la justice américaine.
 
Une partie importante du livre est consacré à faire l'inventaire des morts du tabagisme. Robert Proctor rappelle que la consommation de tabac a été à l'origine de 100 millions de décès au XXe siècle. Il met également en évidence la corrélation en l'accroissement du nombre de cancers du poumon et celui de la consommation de cigarette sur l'ensemble de ce siècle. Avec provocation Robert Proctor titre ainsi son ouvrage Golden Holocauste, car à tous ces morts s'ajoute une vaste entreprise de déni des méfaits du tabac.
 
Robert Proctor montre à travers l'étude de certains documents, comment procède l'agnotologie de l'industrie du tabac. Les compagnies ont été très tôt contraintes d'adoucir le tabac et d'en accroitre le caractère addictif pour en faciliter la consommation régulière. Elles y ont donc ajouté des substances, dont il s'est avéré qu'elles étaient remarquablement nocives pour la santé de l'homme. Confrontée à l'impossibilité de commercialiser à nouveau un tabac non traité sous peine de perdre ses consommateurs, l'industrie cigarettière a donc été contrainte d'entretenir le flou au sujet des méfaits de son produit. Selon Robert Proctor, elle y est parvenue en faisant en sorte que la dangerosité des composants des cigarettes ne soit jamais présentée de façon synthétique. En fragmentant ainsi le discours scientifique, il est dès lors possible d'affirmer face à l'opinion publique que l'état de la science ne permet pas de trancher quant à la dangerosité absolue de la cigarette.
 
Robert Proctor, le frondeur de Stanford, signe avec Golden Holocaust un ouvrage remarquable d'exhaustivité et de provocation. Ce livre constitue dans un sens la tentative de l'auteur pour contrer les efforts de fragmentation du discours scientifique et la distribution choisie des savoirs scientifiques. Il se veut une synthèse exhaustive de l'histoire de l'industrie cigarettière américaine. Il est enfin aussi un appel à l'interdiction de la cigarette, certes désillusionné, mais pas dépourvu de nuances. Car Robert Proctor l'affirme en effet « la cigarette et le tabac ont aujourd'hui autant de points communs que le New York Times et un sapin ».
 

(1)PROCTOR, R., Golden Holocaust – Origins of the Cigarette Catastrophe and the Case for Abolition, University of California Press, Berkeley, 2012, 752p.










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