Démocratie
" La démocratie ? Personne ne se dit contre (qui réclame la monarchie ou l’oligarchie ?), mais rares sont ceux qui ne la disent pas en danger. Ou, au moins, fragile par essence. Et c’est précisément la désignation de ce danger qui révèle nos fractures politiques. Sauf à craindre une sorte de dix-huit Brumaire, un putsch militaire ou l’équivalent de l’attaque du Capitole qui n’avait aucune chance de réussir, d’un côté, on la dira plus volontiers en proie à des « tentations », populistes, autoritaires. Les plus savants parleront d’ochlocratie (règne de la foule en délire et hors contrôle – ochlos – par contraste avec la vraie démocratie où les conflits sont bornés par des règles, représentations et procédures), comme on qualifia les gilets jaunes. Le danger est donc un désordre venu d’en bas, exacerbé par des démagogues ou des populistes. Mais dans l’autre camp, on tend à dire la démocratie confisquée, par les élites, par l’argent, par la technocratie, par les médias, par des règles imposées de l’extérieur, par un contrôle d’en haut. Cette opposition, que nous sommes obligés ici de simplifier, perturbe l’ancienne distinction droite/gauche au profit de la tension entre bloc élitaire et blocs populaire.
Qui attaque la démocratie selon le premier ? Des gens qui agitent des passions et refusent des règles. Notamment celles qui limitent les propos violents (ou a fortiori les manifestations) envers leurs adversaires ou contre les normes de la démocratie (État de droit, modération des attaques, acceptation de principes universels limitant la volonté du peuple, tels les droits de l’homme, respect du pluralisme de la presse, etc.) Ou encore ceux qui violent les règles de la vérité (fake news, désinformation). Toujours l’inévitable trilogie de la haine (agressivité et ressentiment dont jouent les démagogues), du mensonge (fake news, désinformation, etc. qui coupent de la réalité) et du complotisme ou de la tendance à théoriser des culpabilités (de l’Autre, de l’étranger, des élites, des riches…). Se plaçant, dans une logique libérale, les tenants de cette thèse sont plus prompts à vouloir limiter l’expression des populistes, à accepter des autorités judiciaires ou normes internationales qui encadrent le pouvoir de décision des masses mal guidées. Il faudrait des garde-fous et des gardiens du droit. Dans la perspective « le peuple contre la démocratie » (titre d’un essai de Y. Mounk), ils se méfient surtout de la tentation autoritaire et illibérale : elle prend prétexte de l’inefficacité supposée des démocraties représentatives et se réclame la nature supérieure du peuple rendant ses désirs légitimes. Et toute modération suspecte.
L’autre camp se persuade de la compétence dudit peuple – dont la bonne volonté et le bon sens devraient mener à la décision juste quoi qu’en disent juristes, experts et technocrates. Il en déduit la nécessité de plus de consultations avec le suffrage proportionnel, de davantage de référendums, éventuellement d’initiative citoyenne, de grandes réformes institutionnelles, etc. et surtout, on dénonce les intérêts de ceux qui contrôlent l’opinion. Que ce soit leur autorité voire leur autoritarisme, ou leur influence via le parti médiatique, les élites sont tenues pour responsables. Ici on pense en termes de détournement du pouvoir vers les bureaucraties, les organisations internationales, et toutes sortes d’instances de régulation : elles limitent les pouvoirs du politique au cercle de la raison, donc à la démocratie libérale.
Si la démocratie est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, la fracture porte désormais sur le sens de ces trois composantes : ce qu’est le peuple, ce qu’il est légitime qu’il fasse et l’objectif, bien commun ou progrès, qu’il doit partager.
Qui attaque la démocratie selon le premier ? Des gens qui agitent des passions et refusent des règles. Notamment celles qui limitent les propos violents (ou a fortiori les manifestations) envers leurs adversaires ou contre les normes de la démocratie (État de droit, modération des attaques, acceptation de principes universels limitant la volonté du peuple, tels les droits de l’homme, respect du pluralisme de la presse, etc.) Ou encore ceux qui violent les règles de la vérité (fake news, désinformation). Toujours l’inévitable trilogie de la haine (agressivité et ressentiment dont jouent les démagogues), du mensonge (fake news, désinformation, etc. qui coupent de la réalité) et du complotisme ou de la tendance à théoriser des culpabilités (de l’Autre, de l’étranger, des élites, des riches…). Se plaçant, dans une logique libérale, les tenants de cette thèse sont plus prompts à vouloir limiter l’expression des populistes, à accepter des autorités judiciaires ou normes internationales qui encadrent le pouvoir de décision des masses mal guidées. Il faudrait des garde-fous et des gardiens du droit. Dans la perspective « le peuple contre la démocratie » (titre d’un essai de Y. Mounk), ils se méfient surtout de la tentation autoritaire et illibérale : elle prend prétexte de l’inefficacité supposée des démocraties représentatives et se réclame la nature supérieure du peuple rendant ses désirs légitimes. Et toute modération suspecte.
L’autre camp se persuade de la compétence dudit peuple – dont la bonne volonté et le bon sens devraient mener à la décision juste quoi qu’en disent juristes, experts et technocrates. Il en déduit la nécessité de plus de consultations avec le suffrage proportionnel, de davantage de référendums, éventuellement d’initiative citoyenne, de grandes réformes institutionnelles, etc. et surtout, on dénonce les intérêts de ceux qui contrôlent l’opinion. Que ce soit leur autorité voire leur autoritarisme, ou leur influence via le parti médiatique, les élites sont tenues pour responsables. Ici on pense en termes de détournement du pouvoir vers les bureaucraties, les organisations internationales, et toutes sortes d’instances de régulation : elles limitent les pouvoirs du politique au cercle de la raison, donc à la démocratie libérale.
Si la démocratie est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, la fracture porte désormais sur le sens de ces trois composantes : ce qu’est le peuple, ce qu’il est légitime qu’il fasse et l’objectif, bien commun ou progrès, qu’il doit partager.
Mounk Y., Le peuple contre la démocratie, Poche, 2018 "