Nicole Degbo a plus de 20 ans d’expérience acquise au sein de deux grands groupes américains (notamment le Groupe Korn Ferry) dans le domaine de la gouvernance. Depuis 2016, elle dirige La Cabrik, fabrik de gouvernance stratégique et humaine dont la vocation est d’accompagner les transformations pour relier l’économie à l’humain, avec par ailleurs un savoir-faire dans les situations de crise de gouvernance. Elle est également auteur du livre « Recrutez-vous ! La jungle de l’emploi de A à Z. » de La Cabrik Edition (en vente sur le site internet lacabrik.com).
« Pas à pas, avec audace. » Blue Origin
En cette sortie de crise, il y a un consensus pour le changement. Le monde d’après est un leurre, mais la société sait qu’elle doit inévitablement bouger pour éviter le pire : une crise sociale d’ampleur.
La société se fissure et le début des débats des présidentielles montrent la crispation de la société, jusqu’au ressentiment. La rumination des vies est la matière première des discours politiques vide du reste.
Alors, dans un mouvement de désespoir, les français déportent leurs espérances sur les entreprises ; en effet, 67%* des français attendent des chefs d’entreprise qu’ils agissent en co-responsabilité avec le gouvernement pour changer le système.
Conscientes de ces attentes, les entreprises tentent une ruée vers la raison d’être ; de quoi s’agit-il ? La loi Pacte de 2019** intègre la notion de gouvernance morale des entreprises en proposant trois leviers graduels et complémentaires pour incarner autre chose que l’économie : introduire une raison d’être dans les statuts de l’entreprise ; définir des engagements sociaux et environnementaux ; créer un comité de mission pour co-piloter l’ensemble avec les instances de direction.
Mais est-ce si simple ? Il faut regarder les choses avec lucidité, noter la tentative, mais constater que l’effort est à géométrie variable. De la même manière que différents concepts de l’entreprise agile ou libérante, à défaut d’être libérée, ont été tendance, la raison d’être prend le relais.
Il y a un "purpose washing" indéniable. Certains dirigeants pensent que le sujet est un acte de communication ; alors, ils travaillent avec des agences de communication ; d’autres osent formuler une raison d’être, sans impliquer leurs salariés ; il y a aussi ceux dont l’énoncé est insensé, creux et dépossédé de la mission originelle de l’entreprise.
Beaucoup d’acteurs n’ont pas compris le sérieux stratégique de la démarche. Bien-sûr, il y a des acteurs exemplaires ; mais bien souvent, ceux-là n’avaient fondamentalement pas besoin de la loi pour pivoter.
Avec la raison d’être, l’ESG fait son apparition, dans un modèle plus sérieux que la RSE. C’est le même sujet, mais l’appellation anglo-saxonne redonne de la dynamique à l’enjeu. L’environnement devient théoriquement l’obsession de tous, puis viennent le social et la gouvernance.
La gouvernance justement doit également faire sa transformation. La crise a remis au centre du débat le travail ; le télétravail a certes occupé les esprits pendant plusieurs mois, détournant ainsi les uns et les autres du véritable sujet, mais cela ne va pas durer. Les entreprises ne pourront pas faire l’impasse sur une réflexion de fond qui arrive à grand pas : le contrat social.
Nous le voyons bien dans les secteurs pénuriques : le salaire occupe toute la place des idées, alors qu’il s’agit en réalité de repenser les modèles de croissance.
Ainsi, les salariés assistent à toute cette agitation autour de la raison d’être, alors qu’ils veulent voir le changement concret du quotidien qui montre de manière irréfragable que quelque chose est en train de changer.
Il va sans dire que la raison d’être est une colonne vertébrale de la gouvernance car elle tire précisément un trait d’union entre l’économie, l’humain et la société ; elle peut même s’offrir le luxe d’avoir un impact social ou sociétal, voire politique. Mais il faut y aller de manière articulée, méthodique et être en capacité d’incarner véritablement la promesse qui se cache derrière, incluant la longue liste de compromis inévitables.
La raison d’être joue un rôle d’éclaireur des parties prenantes de l’entreprise ; elle raconte une direction et des valeurs ; elle provoque ou clarifie un alignement au sein de l’entreprise et augmente sa puissance d’action et par capillarité son leadership.
Mais la raison d’être n’est pas magique ; elle ne peut pas masquer les discours en trompe l’œil ou les stratégie de faux-semblants car une question vient : peut-on bâtir le changement avec les mêmes ? Comment pouvons-nous croire que ceux qui n’ont pas réussi à innover, à créer les contours d’une entreprise nouvelle, à poser les termes d’une autre gouvernance, hier et pendant longtemps, seront les hommes du changement ?
Ce changement doit donc s’incarner de toute urgence par des visages humains. Les entreprises ont besoin d’équipes neuves et non-conformistes, curieuses, déterminées et non blasées ; des équipes qui croient viscéralement en la dimension capacitaire de l’homme. Ce sont des équipes qui doivent diriger à partir de la combinatoire technologie, humain. L’humain ne peut plus être un impensé. Nous n’avons plus ce luxe-là ; et il ne s’agit pas seulement d’éthique, mais bien de la manière dont l’entreprise compte s’appuyer sur les équipes pour donner le meilleur d’elle-même.
Les petits pas doivent s’accélérer ; on note que les trois-quarts* des sociétés du CAC 40 ont formulé une raison d’être et que 85%* d’entre elles ont désormais un comité RSE. De même, on constate une augmentation du nombre d’administrateurs salariés, de profils internationaux et digitaux dans les conseils. C’est pas mal, mais c’est insuffisant.
Il faut au moins le spectre d’un big-bang pour changer les choses de manière profonde et durable afin de réengager les salariés qui sont au bord de l’entreprise et ils sont nombreux. Il suffit de compter le nombre de gens qui créent leur entreprise, prennent le statut de free-lance, réalisent un bilan de compétences pour quitter leur entreprise ou même les abandons de poste et ceux qui préfèrent, dans un premier temps, se mettre au chômage.
Nous sommes dans un moment de désillusions et, en même de temps, de grandes espérances. Et il faut espérer que les acteurs qui ont le pouvoir n’attendront pas la loi pour créer le changement. Christine Lagarde a dit : "Quand on ne légifère pas, on trouve des excuses." Et bien la sincérité de tous sera mesurée à l’aune de la capacité des uns et des autres d’inventer une nouvelle société à travers de nouveaux modèles d’entreprise, sans la pression, voire la coercition de la loi.
* source Les Echos
** LOI n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.
En cette sortie de crise, il y a un consensus pour le changement. Le monde d’après est un leurre, mais la société sait qu’elle doit inévitablement bouger pour éviter le pire : une crise sociale d’ampleur.
La société se fissure et le début des débats des présidentielles montrent la crispation de la société, jusqu’au ressentiment. La rumination des vies est la matière première des discours politiques vide du reste.
Alors, dans un mouvement de désespoir, les français déportent leurs espérances sur les entreprises ; en effet, 67%* des français attendent des chefs d’entreprise qu’ils agissent en co-responsabilité avec le gouvernement pour changer le système.
Conscientes de ces attentes, les entreprises tentent une ruée vers la raison d’être ; de quoi s’agit-il ? La loi Pacte de 2019** intègre la notion de gouvernance morale des entreprises en proposant trois leviers graduels et complémentaires pour incarner autre chose que l’économie : introduire une raison d’être dans les statuts de l’entreprise ; définir des engagements sociaux et environnementaux ; créer un comité de mission pour co-piloter l’ensemble avec les instances de direction.
Mais est-ce si simple ? Il faut regarder les choses avec lucidité, noter la tentative, mais constater que l’effort est à géométrie variable. De la même manière que différents concepts de l’entreprise agile ou libérante, à défaut d’être libérée, ont été tendance, la raison d’être prend le relais.
Il y a un "purpose washing" indéniable. Certains dirigeants pensent que le sujet est un acte de communication ; alors, ils travaillent avec des agences de communication ; d’autres osent formuler une raison d’être, sans impliquer leurs salariés ; il y a aussi ceux dont l’énoncé est insensé, creux et dépossédé de la mission originelle de l’entreprise.
Beaucoup d’acteurs n’ont pas compris le sérieux stratégique de la démarche. Bien-sûr, il y a des acteurs exemplaires ; mais bien souvent, ceux-là n’avaient fondamentalement pas besoin de la loi pour pivoter.
Avec la raison d’être, l’ESG fait son apparition, dans un modèle plus sérieux que la RSE. C’est le même sujet, mais l’appellation anglo-saxonne redonne de la dynamique à l’enjeu. L’environnement devient théoriquement l’obsession de tous, puis viennent le social et la gouvernance.
La gouvernance justement doit également faire sa transformation. La crise a remis au centre du débat le travail ; le télétravail a certes occupé les esprits pendant plusieurs mois, détournant ainsi les uns et les autres du véritable sujet, mais cela ne va pas durer. Les entreprises ne pourront pas faire l’impasse sur une réflexion de fond qui arrive à grand pas : le contrat social.
Nous le voyons bien dans les secteurs pénuriques : le salaire occupe toute la place des idées, alors qu’il s’agit en réalité de repenser les modèles de croissance.
Ainsi, les salariés assistent à toute cette agitation autour de la raison d’être, alors qu’ils veulent voir le changement concret du quotidien qui montre de manière irréfragable que quelque chose est en train de changer.
Il va sans dire que la raison d’être est une colonne vertébrale de la gouvernance car elle tire précisément un trait d’union entre l’économie, l’humain et la société ; elle peut même s’offrir le luxe d’avoir un impact social ou sociétal, voire politique. Mais il faut y aller de manière articulée, méthodique et être en capacité d’incarner véritablement la promesse qui se cache derrière, incluant la longue liste de compromis inévitables.
La raison d’être joue un rôle d’éclaireur des parties prenantes de l’entreprise ; elle raconte une direction et des valeurs ; elle provoque ou clarifie un alignement au sein de l’entreprise et augmente sa puissance d’action et par capillarité son leadership.
Mais la raison d’être n’est pas magique ; elle ne peut pas masquer les discours en trompe l’œil ou les stratégie de faux-semblants car une question vient : peut-on bâtir le changement avec les mêmes ? Comment pouvons-nous croire que ceux qui n’ont pas réussi à innover, à créer les contours d’une entreprise nouvelle, à poser les termes d’une autre gouvernance, hier et pendant longtemps, seront les hommes du changement ?
Ce changement doit donc s’incarner de toute urgence par des visages humains. Les entreprises ont besoin d’équipes neuves et non-conformistes, curieuses, déterminées et non blasées ; des équipes qui croient viscéralement en la dimension capacitaire de l’homme. Ce sont des équipes qui doivent diriger à partir de la combinatoire technologie, humain. L’humain ne peut plus être un impensé. Nous n’avons plus ce luxe-là ; et il ne s’agit pas seulement d’éthique, mais bien de la manière dont l’entreprise compte s’appuyer sur les équipes pour donner le meilleur d’elle-même.
Les petits pas doivent s’accélérer ; on note que les trois-quarts* des sociétés du CAC 40 ont formulé une raison d’être et que 85%* d’entre elles ont désormais un comité RSE. De même, on constate une augmentation du nombre d’administrateurs salariés, de profils internationaux et digitaux dans les conseils. C’est pas mal, mais c’est insuffisant.
Il faut au moins le spectre d’un big-bang pour changer les choses de manière profonde et durable afin de réengager les salariés qui sont au bord de l’entreprise et ils sont nombreux. Il suffit de compter le nombre de gens qui créent leur entreprise, prennent le statut de free-lance, réalisent un bilan de compétences pour quitter leur entreprise ou même les abandons de poste et ceux qui préfèrent, dans un premier temps, se mettre au chômage.
Nous sommes dans un moment de désillusions et, en même de temps, de grandes espérances. Et il faut espérer que les acteurs qui ont le pouvoir n’attendront pas la loi pour créer le changement. Christine Lagarde a dit : "Quand on ne légifère pas, on trouve des excuses." Et bien la sincérité de tous sera mesurée à l’aune de la capacité des uns et des autres d’inventer une nouvelle société à travers de nouveaux modèles d’entreprise, sans la pression, voire la coercition de la loi.
* source Les Echos
** LOI n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.