La montée en puissance de l’ebook et l’émergence de nouveaux acteurs du livre numérique viennent d’ouvrir un nouveau chapitre dans la –déjà longue- histoire des mégafusions de « l’industrie littéraire ». Random House et Penguin Books ont ainsi annoncé le 29 octobre 2012 qu’ils unissaient leurs destins, sous la férule du géant allemand des médias Bertelsmann, pour former le premier éditeur au monde sous le nom de Penguin Random House.
Cette nouvelle, au même titre que l'impérialisme d'Amazon souvent soulevé dans les débats sur la diversité culturelle, n’est pas sans risque pour la création. La tentation des géants de la communication est en effet d’exiger que la rentabilité de l’édition de livres soit comparable à celle des autres secteurs d’activité rémunérateurs que sont la télévision ou le cinéma. Les critères commerciaux supplantant les critères littéraires, les éditeurs peuvent se retrouver contraints par leurs actionnaires de modifier leur politique éditoriale et de ne publier que des best-sellers. Quid des auteurs talentueux, mais moins « grand public », qui contribuent pourtant à la diversité culturelle ? C’est bien la question -derrière laquelle se profile le spectre de la « junk culture »- qui se pose aujourd’hui !
Pour ce qui concerne la récente naissance du géant hors-norme de l’édition anglo-saxonne, la nouveauté est qu’elle a été envisagée comme une réponse à la croissance vertigineuse d’acteurs dans la publication et la distribution de livres numériques.
On pensait jusqu’à présent que le marché resterait anecdotique en Europe… On s’aperçoit en fait que les digues sont en train de tomber et que nous nous rapprochons à grands pas du modèle de marché américain où le chiffre d’affaires du livre numérique explose avec près de 25% de part de marché prévue à l’horizon 2015. Cette situation est très inquiétante car les géants de l’internet -Apple, Google, Amazon- menacent d’imposer leurs prix et leurs méthodes aux éditeurs traditionnels déjà tentés par les sirènes de la standardisation. La presse aussi subit les assauts de nouveaux acteurs qui, malgré la force de frappe technologique et marketing dont ils disposent, rechignent à prendre les risques qu’impliquerait une politique éditoriale créative. Serons-nous bientôt tous condamnés à lire les mêmes bouquins et les mêmes auteurs à succès ? Notre imagination sera-t-elle peuplée des mêmes univers et nos esprits standardisés ? Peut-être….à moins que nous réussissions à défendre la « bibliodiversité ».
Il en va d’abord de la responsabilité des pouvoirs publics. La France a ainsi mis en place des dispositifs efficaces de soutien au livre comme un taux de TVA réduit et un système de prêts financiers aux éditeurs. Mais l’outil le plus précieux reste le prix unique du livre valable pour tous les revendeurs. Les éditeurs savent à quel point il est garant de la diversité et de la qualité de l’offre, de la diffusion et de la prescription. Face à la menace d’un internet non-régulé, ils ont ainsi soutenu, en mai 2011, l’adoption d’une loi sur le prix du livre numérique, s’imposant aux firmes françaises et étrangères pour toutes les ventes réalisées sur le territoire français.
Il n’est pas inutile de souligner à ce titre que l’existence d'une production nationale forte et d'un système de distribution efficace au sein de chaque pays est une condition préalable indispensable à la diversité culturelle.
L’Europe a ainsi tout intérêt à poursuivre son action en direction des pays en voie de développement, qui ont parfois du mal à soutenir la concurrence anglo-saxonne, dans leurs efforts pour participer à cet échange culturel international.
Il en va ensuite de la responsabilité des éditeurs. Des éditeurs indépendants comme des grands groupes d’édition qui, dans leurs choix éditoriaux, doivent continuer à faire preuve d’audace et à considérer que le livre n’est pas un produit comme les autres. Acteurs économiques, certes, ils tiennent également entre leurs mains notre avenir culturel. En France, la résistance s’organise avec à sa tête le numéro deux mondial, mondial Hachette Livre, qui sort à peine d’un bras de fer portant sur la numérisation d’ouvrages épuisés en langue française et le contrôle sur le prix de vente des livres. « Nous menons un combat essentiel pour éviter à notre métier les jours noirs que connaissent les éditeurs de musique » reconnaît Arnaud Nourry qui préside aux destinées du premier éditeur français. « Les éditeurs d’Hachette Livre continueront à prendre des risques, à soutenir la création, et à privilégier la recherche de talents nouveaux » ajoute le PDG. Editeur indépendant, Antoine Gallimard fait la même analyse lorsqu’il déclare « qu’il y a trop de best-sellers annoncés, de livres qui se ressemblent et que les libraires n’ont plus envie de défendre. » Au centre de ses préoccupations, on retrouve un cheval de bataille partagé par l'ensemble de la communauté française des éditeurs, les gros comme les petits: un souci de régulation du marché de la culture avant que l'économie de marché ne cède la place à l'anarchie et à la loi d'airain concurrentielle. Lors de l'assemblée générale du SNE, il déclarait ainsi: "Il s’agit de reconstituer sur le réseau cette diversité qui est notre richesse commune dans le monde réel et qui nous préserve des abus de position dominante."
Donner aux libraires l’envie de défendre la création ? Il en va aussi de la responsabilité des lecteurs... Chacun d’entre nous a la possibilité de soutenir la diversité culturelle en poussant la porte des petites librairies de quartier. Gérées par des passionnés, la plupart du temps désireux de faire partager leurs coups de cœur qui échappent au rouleau compresseur médiatique, les librairies de quartier sont les vigies de l’édition de qualité. Les politiques de régulation ont permis de conserver un réseau dense et de qualité de libraires en France, comme aux Pays Bas ou en Allemagne mais partout ailleurs, ils sont bel et bien menacés. Au Royaume-Uni par exemple, la librairie indépendante ne représente plus que 4% du marché du livre, et dans d’autres pays, en Europe de l’Est notamment, le tissu de la librairie est presque inexistant.
Soutenir la diversité culturelle, c’est aussi refuser le téléchargement d’œuvres qui ne se contente pas de menacer les droits d’auteur mais qui constitue tout simplement une atteinte à la production culturelle.
« Au même titre que la biodiversité est nécessaire à l’équilibre de la nature, la diversité culturelle est nécessaire au genre humain » avait l’habitude de dire Koïchiro Matsuura, le Directeur général de l’Unesco de 1999 à 2009. Pouvoirs publics, éditeurs, libraires, lecteurs nous sommes tous à des degrés différents comptables de cette diversité et de l’avenir culturel que nous voulons léguer aux prochaines générations. L’ignorer reviendrait tout simplement à creuser la tombe de notre propre intelligence...
Cette nouvelle, au même titre que l'impérialisme d'Amazon souvent soulevé dans les débats sur la diversité culturelle, n’est pas sans risque pour la création. La tentation des géants de la communication est en effet d’exiger que la rentabilité de l’édition de livres soit comparable à celle des autres secteurs d’activité rémunérateurs que sont la télévision ou le cinéma. Les critères commerciaux supplantant les critères littéraires, les éditeurs peuvent se retrouver contraints par leurs actionnaires de modifier leur politique éditoriale et de ne publier que des best-sellers. Quid des auteurs talentueux, mais moins « grand public », qui contribuent pourtant à la diversité culturelle ? C’est bien la question -derrière laquelle se profile le spectre de la « junk culture »- qui se pose aujourd’hui !
Pour ce qui concerne la récente naissance du géant hors-norme de l’édition anglo-saxonne, la nouveauté est qu’elle a été envisagée comme une réponse à la croissance vertigineuse d’acteurs dans la publication et la distribution de livres numériques.
On pensait jusqu’à présent que le marché resterait anecdotique en Europe… On s’aperçoit en fait que les digues sont en train de tomber et que nous nous rapprochons à grands pas du modèle de marché américain où le chiffre d’affaires du livre numérique explose avec près de 25% de part de marché prévue à l’horizon 2015. Cette situation est très inquiétante car les géants de l’internet -Apple, Google, Amazon- menacent d’imposer leurs prix et leurs méthodes aux éditeurs traditionnels déjà tentés par les sirènes de la standardisation. La presse aussi subit les assauts de nouveaux acteurs qui, malgré la force de frappe technologique et marketing dont ils disposent, rechignent à prendre les risques qu’impliquerait une politique éditoriale créative. Serons-nous bientôt tous condamnés à lire les mêmes bouquins et les mêmes auteurs à succès ? Notre imagination sera-t-elle peuplée des mêmes univers et nos esprits standardisés ? Peut-être….à moins que nous réussissions à défendre la « bibliodiversité ».
Il en va d’abord de la responsabilité des pouvoirs publics. La France a ainsi mis en place des dispositifs efficaces de soutien au livre comme un taux de TVA réduit et un système de prêts financiers aux éditeurs. Mais l’outil le plus précieux reste le prix unique du livre valable pour tous les revendeurs. Les éditeurs savent à quel point il est garant de la diversité et de la qualité de l’offre, de la diffusion et de la prescription. Face à la menace d’un internet non-régulé, ils ont ainsi soutenu, en mai 2011, l’adoption d’une loi sur le prix du livre numérique, s’imposant aux firmes françaises et étrangères pour toutes les ventes réalisées sur le territoire français.
Il n’est pas inutile de souligner à ce titre que l’existence d'une production nationale forte et d'un système de distribution efficace au sein de chaque pays est une condition préalable indispensable à la diversité culturelle.
L’Europe a ainsi tout intérêt à poursuivre son action en direction des pays en voie de développement, qui ont parfois du mal à soutenir la concurrence anglo-saxonne, dans leurs efforts pour participer à cet échange culturel international.
Il en va ensuite de la responsabilité des éditeurs. Des éditeurs indépendants comme des grands groupes d’édition qui, dans leurs choix éditoriaux, doivent continuer à faire preuve d’audace et à considérer que le livre n’est pas un produit comme les autres. Acteurs économiques, certes, ils tiennent également entre leurs mains notre avenir culturel. En France, la résistance s’organise avec à sa tête le numéro deux mondial, mondial Hachette Livre, qui sort à peine d’un bras de fer portant sur la numérisation d’ouvrages épuisés en langue française et le contrôle sur le prix de vente des livres. « Nous menons un combat essentiel pour éviter à notre métier les jours noirs que connaissent les éditeurs de musique » reconnaît Arnaud Nourry qui préside aux destinées du premier éditeur français. « Les éditeurs d’Hachette Livre continueront à prendre des risques, à soutenir la création, et à privilégier la recherche de talents nouveaux » ajoute le PDG. Editeur indépendant, Antoine Gallimard fait la même analyse lorsqu’il déclare « qu’il y a trop de best-sellers annoncés, de livres qui se ressemblent et que les libraires n’ont plus envie de défendre. » Au centre de ses préoccupations, on retrouve un cheval de bataille partagé par l'ensemble de la communauté française des éditeurs, les gros comme les petits: un souci de régulation du marché de la culture avant que l'économie de marché ne cède la place à l'anarchie et à la loi d'airain concurrentielle. Lors de l'assemblée générale du SNE, il déclarait ainsi: "Il s’agit de reconstituer sur le réseau cette diversité qui est notre richesse commune dans le monde réel et qui nous préserve des abus de position dominante."
Donner aux libraires l’envie de défendre la création ? Il en va aussi de la responsabilité des lecteurs... Chacun d’entre nous a la possibilité de soutenir la diversité culturelle en poussant la porte des petites librairies de quartier. Gérées par des passionnés, la plupart du temps désireux de faire partager leurs coups de cœur qui échappent au rouleau compresseur médiatique, les librairies de quartier sont les vigies de l’édition de qualité. Les politiques de régulation ont permis de conserver un réseau dense et de qualité de libraires en France, comme aux Pays Bas ou en Allemagne mais partout ailleurs, ils sont bel et bien menacés. Au Royaume-Uni par exemple, la librairie indépendante ne représente plus que 4% du marché du livre, et dans d’autres pays, en Europe de l’Est notamment, le tissu de la librairie est presque inexistant.
Soutenir la diversité culturelle, c’est aussi refuser le téléchargement d’œuvres qui ne se contente pas de menacer les droits d’auteur mais qui constitue tout simplement une atteinte à la production culturelle.
« Au même titre que la biodiversité est nécessaire à l’équilibre de la nature, la diversité culturelle est nécessaire au genre humain » avait l’habitude de dire Koïchiro Matsuura, le Directeur général de l’Unesco de 1999 à 2009. Pouvoirs publics, éditeurs, libraires, lecteurs nous sommes tous à des degrés différents comptables de cette diversité et de l’avenir culturel que nous voulons léguer aux prochaines générations. L’ignorer reviendrait tout simplement à creuser la tombe de notre propre intelligence...