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Une guerre contre un ennemi insaisissable?
Si la lutte anti-corruption n’est pas chose aisée, c’est que l’objet même de cette bataille (et plus particulièrement sa preuve) reste souvent flou. Transparency International définit la corruption comme un « abus de pouvoir reçu en délégation à des fins privées ». Le droit pénal français distingue quant à lui la corruption passive et active ainsi que le domaine public et privé : vaste sujet donc. Pots-de vin en tous genres, manque de transparence, clientélisme ou détournement de fonds : la corruption est multifacettes. « Ce sont les directeurs des achats qui reçoivent le plus de propositions de pot-de-vin » précise Francis Dépernet, ancien DRH dans de grands groupes. La lutte se concentre ainsi sur les échanges avec les fournisseurs ou les missions confiées à des consultants et aux gros contrats car, plus il y a d’argent en jeu, plus le risque est élevé. De plus, les activités les plus touchées par la corruption sont celles liées aux matières premières dont l’accès (gaz, pétrole, coltan, uranium) fait l’objet d’une concurrence féroce entre les états et les multinationales qui souhaitent avoir la main mise. Dernièrement BNP Paribas a été épinglé (et suspendu) par Transparency International au titre que « son entité en charge du négoce international de pétrole et gaz a volontairement dissimulé entre 2004 et 2012 des transactions illégales de plusieurs milliards de dollars avec le Soudan, Cuba et l’Iran ».
Autrefois difficilement mesurables, les flux de cette « grosse industrie ». Daniel Kaufman, directeur du programme Gouvernance de la Banque mondiale témoigne : « même en restant conservateur, on arrive à un volume annuel de pots-de-vin à l'échelle mondiale se montant à environ un trillion de dollars (mille milliard de dollars) ». Il précise que « Le volume de la corruption globale dans le monde dépasse celui des seuls pots-de-vin. Le chiffre de mille milliards de dollars ne comprend pas les détournements de fonds publics (budgets nationaux et budgets des collectivités locales), ou des vols (mauvaises utilisations) des biens publics ».
Et cela coûte cher. La Commission européenne évalue à cent vingt milliards d'euros par an, le coût de la corruption qui pèserait sur les Etats européens. La facture est également salée pour les entreprises comme Alcoa qui a payé près de 300 millions d’euros d’amende aux Etats-Unis, faute d’avoir mis en place des contrôles préventifs aux paiements de pots-de-vin payés à Bahreïn par des intermédiaires. Le record est battu par Siemens qui a dû s’acquitter d’1 milliard 176 millions d'euros, payés en 2008. Car pour en finir avec les zones grises du business, les Etats ont mis en place des arsenaux de plus en plus redoutables.
Un contexte mondial propice à la lutte anti-corruption mais inégal
La lutte anti-corruption, et plus particulièrement la multiplication des normes anti-corruption, s’épanouissent dans un contexte de moralisation des affaires. Cette volonté apparait comme un symptôme post traumatique au capitalisme débridé des décennies précédentes et aux nombreux scandales. Ainsi, la convention anti-corruption adoptée en 1997 à l’OCDE impose aux 38 pays l’ayant ratifié, des règles strictes en matière de corruption que certaines législations nationales sont venues renforcer. En effet, les USA et le Royaume–Uni amorcent la lutte et développent des normes qui, en l’absence de standards planétaires, leur procurent un avantage stratégique indéniable. De plus, ce caractère extraterritorial législatif induit un risque d’ingérence économique pour les contrevenants faisant de la lutte anti-corruption une arme de guerre économique. La convention OCDE a d’ailleurs largement été poussée par les américains, qui souhaitaient que leurs partenaires commerciaux soit assujettis à une législation stricte, à l’instar de leur « Foreign Corrupt Practice Act ». L’UK Bribery Act, adopté en 2010 par le Royaume-Uni, sanctionne le plus sévèrement les entreprises omettant de se doter d’un dispositif interne de prévention des actes de corruption.
Un atout pour la compétitivité des entreprises françaises encore mal exploité
Si la France a ratifié de la convention OCDE, la lutte est encore timide en France, qui pour Transparency International, se place au 22ème rang des plus vertueux en matière de corruption. De plus, l’indice de perception des acteurs mondiaux de l’économie s’agissant de la corruption affectant les administrations et les hommes politiques, positionne la France en neuvième derrière les modèles d’éthique danois, suédois ou allemand. Dans un rapport de 2012, l’OCDE emploie même les termes d’ « immobilisme » de « faible réactivité » ou de « moyens insuffisants » afin de qualifier l’action (l’inaction ?) française. Trop peu de condamnations ou de procédures intentées, voici ce qui est entre autres reproché à la France qui riposte avec le projet de création d’un procureur anti-corruption. Or des juridictions interrégionales spécialisées en matière économique et financière existent déjà, comme le TGI de Paris dispose d’une compétence nationale s’agissant du terrorisme et des infractions boursières. C’est donc bien la volonté politique qui est pointée du doigt.
En septembre dernier, la condamnation de Safran à 500 000 euros d’amende « pour corruption active » au Nigéria au début des années 2000, (le groupe a fait appel) tranche avec les millions de dollars réclamés par les Etats-Unis au titre de la lutte anti-corruption. L’entreprise du CAC 40 a depuis été la première à obtenir en 2013, la certification anticorruption délivrée par l’ADIT. Si les réflexes ne sont pas encore automatiques en France, ils tendent à emboiter le pas des pratiques anglo-saxonnes. En effet, les certifications anti-corruption ont le vent en poupe. L’ADIT et Mazars ont récemment adoubé CGG , spécialiste de l’exploration sismique en vertu du code de bonne conduite des affaires. « Faire vérifier par un tiers extérieur non partie prenante la conformité et la robustesse de nos dispositifs, quitte à identifier des marges de progrès, est un bon signal envers nos clients et nos actionnaires. Avec 85 % de flottant, notre cours, volatil, est exposé au marché » témoigne Jean-Georges Malcor, le CEO de l’entreprise nouvellement certifiée. Au-delà de la dimension éthique, c’est bien la compétitivité des entreprises françaises qui est en jeu. La corruption apparaît comme un risque majeur pour ces dernières qui ne semblent pas encore avoir saisi la mesure des enjeux. C’est ce que rappelle la DCRI dans un « flash ingérence économique » de début d’année. Elle préconise entre autres mesures de nommer un responsable de l’éthique au sein de l’entreprise, de sensibiliser le personnel aux enjeux du respect des normes éthiques ou de réaliser des Due Diligence sur les partenariats envisagés.
Au-delà des solutions cosmétiques, une restructuration en profondeur semble nécessaire. La dynamique semble en marche si on en croit les programmes dans les écoles de commerce qui propose de former les futurs dirigeants aux méthodes anti-corruption.
Si la lutte anti-corruption n’est pas chose aisée, c’est que l’objet même de cette bataille (et plus particulièrement sa preuve) reste souvent flou. Transparency International définit la corruption comme un « abus de pouvoir reçu en délégation à des fins privées ». Le droit pénal français distingue quant à lui la corruption passive et active ainsi que le domaine public et privé : vaste sujet donc. Pots-de vin en tous genres, manque de transparence, clientélisme ou détournement de fonds : la corruption est multifacettes. « Ce sont les directeurs des achats qui reçoivent le plus de propositions de pot-de-vin » précise Francis Dépernet, ancien DRH dans de grands groupes. La lutte se concentre ainsi sur les échanges avec les fournisseurs ou les missions confiées à des consultants et aux gros contrats car, plus il y a d’argent en jeu, plus le risque est élevé. De plus, les activités les plus touchées par la corruption sont celles liées aux matières premières dont l’accès (gaz, pétrole, coltan, uranium) fait l’objet d’une concurrence féroce entre les états et les multinationales qui souhaitent avoir la main mise. Dernièrement BNP Paribas a été épinglé (et suspendu) par Transparency International au titre que « son entité en charge du négoce international de pétrole et gaz a volontairement dissimulé entre 2004 et 2012 des transactions illégales de plusieurs milliards de dollars avec le Soudan, Cuba et l’Iran ».
Autrefois difficilement mesurables, les flux de cette « grosse industrie ». Daniel Kaufman, directeur du programme Gouvernance de la Banque mondiale témoigne : « même en restant conservateur, on arrive à un volume annuel de pots-de-vin à l'échelle mondiale se montant à environ un trillion de dollars (mille milliard de dollars) ». Il précise que « Le volume de la corruption globale dans le monde dépasse celui des seuls pots-de-vin. Le chiffre de mille milliards de dollars ne comprend pas les détournements de fonds publics (budgets nationaux et budgets des collectivités locales), ou des vols (mauvaises utilisations) des biens publics ».
Et cela coûte cher. La Commission européenne évalue à cent vingt milliards d'euros par an, le coût de la corruption qui pèserait sur les Etats européens. La facture est également salée pour les entreprises comme Alcoa qui a payé près de 300 millions d’euros d’amende aux Etats-Unis, faute d’avoir mis en place des contrôles préventifs aux paiements de pots-de-vin payés à Bahreïn par des intermédiaires. Le record est battu par Siemens qui a dû s’acquitter d’1 milliard 176 millions d'euros, payés en 2008. Car pour en finir avec les zones grises du business, les Etats ont mis en place des arsenaux de plus en plus redoutables.
Un contexte mondial propice à la lutte anti-corruption mais inégal
La lutte anti-corruption, et plus particulièrement la multiplication des normes anti-corruption, s’épanouissent dans un contexte de moralisation des affaires. Cette volonté apparait comme un symptôme post traumatique au capitalisme débridé des décennies précédentes et aux nombreux scandales. Ainsi, la convention anti-corruption adoptée en 1997 à l’OCDE impose aux 38 pays l’ayant ratifié, des règles strictes en matière de corruption que certaines législations nationales sont venues renforcer. En effet, les USA et le Royaume–Uni amorcent la lutte et développent des normes qui, en l’absence de standards planétaires, leur procurent un avantage stratégique indéniable. De plus, ce caractère extraterritorial législatif induit un risque d’ingérence économique pour les contrevenants faisant de la lutte anti-corruption une arme de guerre économique. La convention OCDE a d’ailleurs largement été poussée par les américains, qui souhaitaient que leurs partenaires commerciaux soit assujettis à une législation stricte, à l’instar de leur « Foreign Corrupt Practice Act ». L’UK Bribery Act, adopté en 2010 par le Royaume-Uni, sanctionne le plus sévèrement les entreprises omettant de se doter d’un dispositif interne de prévention des actes de corruption.
Un atout pour la compétitivité des entreprises françaises encore mal exploité
Si la France a ratifié de la convention OCDE, la lutte est encore timide en France, qui pour Transparency International, se place au 22ème rang des plus vertueux en matière de corruption. De plus, l’indice de perception des acteurs mondiaux de l’économie s’agissant de la corruption affectant les administrations et les hommes politiques, positionne la France en neuvième derrière les modèles d’éthique danois, suédois ou allemand. Dans un rapport de 2012, l’OCDE emploie même les termes d’ « immobilisme » de « faible réactivité » ou de « moyens insuffisants » afin de qualifier l’action (l’inaction ?) française. Trop peu de condamnations ou de procédures intentées, voici ce qui est entre autres reproché à la France qui riposte avec le projet de création d’un procureur anti-corruption. Or des juridictions interrégionales spécialisées en matière économique et financière existent déjà, comme le TGI de Paris dispose d’une compétence nationale s’agissant du terrorisme et des infractions boursières. C’est donc bien la volonté politique qui est pointée du doigt.
En septembre dernier, la condamnation de Safran à 500 000 euros d’amende « pour corruption active » au Nigéria au début des années 2000, (le groupe a fait appel) tranche avec les millions de dollars réclamés par les Etats-Unis au titre de la lutte anti-corruption. L’entreprise du CAC 40 a depuis été la première à obtenir en 2013, la certification anticorruption délivrée par l’ADIT. Si les réflexes ne sont pas encore automatiques en France, ils tendent à emboiter le pas des pratiques anglo-saxonnes. En effet, les certifications anti-corruption ont le vent en poupe. L’ADIT et Mazars ont récemment adoubé CGG , spécialiste de l’exploration sismique en vertu du code de bonne conduite des affaires. « Faire vérifier par un tiers extérieur non partie prenante la conformité et la robustesse de nos dispositifs, quitte à identifier des marges de progrès, est un bon signal envers nos clients et nos actionnaires. Avec 85 % de flottant, notre cours, volatil, est exposé au marché » témoigne Jean-Georges Malcor, le CEO de l’entreprise nouvellement certifiée. Au-delà de la dimension éthique, c’est bien la compétitivité des entreprises françaises qui est en jeu. La corruption apparaît comme un risque majeur pour ces dernières qui ne semblent pas encore avoir saisi la mesure des enjeux. C’est ce que rappelle la DCRI dans un « flash ingérence économique » de début d’année. Elle préconise entre autres mesures de nommer un responsable de l’éthique au sein de l’entreprise, de sensibiliser le personnel aux enjeux du respect des normes éthiques ou de réaliser des Due Diligence sur les partenariats envisagés.
Au-delà des solutions cosmétiques, une restructuration en profondeur semble nécessaire. La dynamique semble en marche si on en croit les programmes dans les écoles de commerce qui propose de former les futurs dirigeants aux méthodes anti-corruption.