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La dictature de la norme condamne-t-elle la créativité ?


Vendredi 10 Octobre 2014



Avec l’apparition de la culture de masse, les modèles jusqu’alors en place ont été bouleversés. Y’a-t-il désormais une norme en matière de culture, et la créativité en fait-elle les frais ?



(credit: freedigitalphotos.net)
(credit: freedigitalphotos.net)
La modification du paradigme

La mondialisation a connu ses premiers effets évidents dès le début du XXe siècle, particulièrement en matière de culture. Avec l’apparition de nouveaux médias, tels la radio et la télévision, qui se démocratisent dans les foyers occidentaux dans les années cinquante et soixante, l’ouverture des frontières, en matière de musique notamment, est flagrante. Dans tout le Ponant, on écoute le jazz, puis le rock venu des Etats-Unis, dont la diabolisation première ne survit pas longtemps devant l’enthousiasme sans bornes qu’il provoque chez ses jeunes adeptes.

Plus que jamais, la musique – rapidement suivie par le cinéma et la littérature (succès sans précédents du cinéma comique et d’un genre nouveau, le roman de gare) – est synonyme de fête, de détente. La culture devient également synonyme d’oubli et de divertissement, dans un contexte politique tendu où la Seconde Guerre mondiale marque encore les esprits et dans lequel la menace d’un conflit nucléaire atteint son paroxysme, au cœur de la Guerre froide. Et cette tendance va aller s’accentuant avec l’apparition de l’Internet – événement concomitant à la fois aux crises économiques et identitaires générées par la mondialisation – comme outil de partage de la culture au niveau international.

Jusqu’alors consacrée à la connaissance, au savoir, à l’exercice intellectuel et son apprentissage, la culture rencontre un glissement progressif de son acception première.

Un problème de visibilité

De « l’enrichissement de l'esprit par des exercices intellectuels » (Larousse) le sens de « culture » s’est progressivement mu vers celui de « divertissement » (de « divertere » en latin : action de « détourner de ») : le fait de s’amuser, se distraire, devient le propre de la culture dite de masse. Et la culture de masse prend sa source dans la société de consommation.

On peut dès lors faire le distinguo entre culture de masse et culture non-conformiste, sous-tendant ainsi que la culture de masse est celle destinée à divertir à grande échelle quand la seconde vise, au contraire, à aiguiser l’esprit critique, à instruire, à se poser des questions sur le monde qui nous entoure. Il est, cependant, bien entendu que le monde a besoin de divertissement tout comme de réflexion, et ces deux formes de culture ne sont pas à mettre en compétition. Toutefois, la culture de masse, de plus en plus normée pour correspondre à la fois au média qui la diffuse et aux attentes du public qui la reçoit – notamment en matière de tendances – peut amener à brider non pas la créativité de façon intrinsèque, mais sa diffusion et sa visibilité. Ainsi, il suffit de constater l’importance des moyens de communication mis en place sur des valeurs commerciales qui comportent un risque minimum pour comprendre que la culture de masse est devenu un produit qui relève des mêmes méthodes de marketing que peut l’être un bien de consommation courant.

Préservation de la diversité

A ce titre, les géants diffuseurs comme Amazon ou Apple, mais également des enseignes telles que la FNAC ou certains médias, en mettant en avant et diffusant principalement les artistes les plus lucratifs, laissent une place mineure à la diversité culturelle en termes de visibilité. Or, en matière de culture, c’est l’offre qui fait la demande, et c’est en portant à la connaissance des consommateurs l’existence de tel ou tel autre artiste que la demande se forme. C’est ainsi que la norme s’impose insidieusement dans le paysage culturel mondial.

Aussi, il est nécessaire, pour conserver un équilibre dans l’offre culturelle, que les maisons d’édition, de disques, les producteurs de cinéma fassent figures de garants de la diversité… mais également de découvreurs de talents, encourageant, par là même, la mise en avant de la créativité. Dans le secteur de l’édition, le discours est unanime : « Il s’agit de reconstituer (…) cette diversité qui est notre richesse commune dans le monde (…) et qui nous préserve des abus de position dominante. Il est impensable et déraisonnable d’agir en ordre dispersé à cet égard. Mais si les règles sont nécessaires, il n’en est point qui dispensent d’avoir du goût. Les éditeurs le savent bien, qui continuent à faire leur métier avec talent et confiance ; et c’est ce qui permet à notre secteur de maintenir un niveau d’activité remarquable, tirée par la diversité et la richesse de l’offre (…), et donc par la capacité à accompagner, stimuler et financer la création », déclare Antoine Gallimard dans un discours au Syndicat national de l’édition, en juin 2012 (1).
 
C’est également l’avis d’Arnaud Nourry, PDG d’Hachette Livre : « tout le monde peut publier ce qu’il veut, on a toujours vécu avec ça. Mais notre métier c’est tout le contraire, c’est précisément de dire non, de sélectionner » (2), rappelant au passage que découvrir un auteur, c’est d’abord faire le tri. Ce choix nécessaire qui ne peut faire l’économie du goût dont parle Antoine Gallimard. Et le goût, c’est littéralement ce qui se façonne par la diversité culturelle…
 
(1) http://www.sne.fr/a-la-une/vincent-montagne-elu-president-du-sne.html
(2) Arnaud Nourry (Hachette Livre) : « Nous avons créé un écosystème vertueux sur le marché du livre », Les Echos, 8 octobre 2012, http://www.lesechos.fr/08/10/2012/lesechos.fr/0202310259853_arnaud-nourry--hachette-livre-----nous-avons-cree-un-ecosysteme-vertueux-sur-le-marche-du-livre-.htm










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