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L'Ouzbékistan : un pays coupable de sa consommation d'eau ?


Mardi 9 Octobre 2012



Ingénieur agronome, Raphaël Jozan a été conseillé de Vera Kobalia, l'actuelle ministre de l'Économie et du Développement de Géorgie. Titulaire de deux thèses de doctorat, l'une en sociologie et l'autre en gestion des ressources hydriques dans l'espace asiatique postsoviétique, ce jeune expert français a par ailleurs reçu du journal Le monde le prix de la recherche universitaire pour sa dernière publication. Les débordements de la mer d'Aral – Une sociologie de la guerre de l'eau(1) se présente ainsi comme un ouvrage éclectique et très documenté sur un sujet qui ne peut à l'avenir qu'être de plus en plus débattu.



L'Ouzbékistan : un pays coupable de sa consommation d'eau ?
Dans son livre paru au printemps 2012, Raphaël Jozan  s'attaque à une problématique fondamentale pour l'avenir de l'homme, le partage de l'eau, ainsi qu'à un mythe, celui de son insuffisance dans les anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale. L'auteur concentre son étude sur la région du bassin de la mer d'Aral. Il brasse un tableau très nuancé de cette zone traditionnellement décrite comme une asséchée par la mauvaise gestion des ressources hydrique et la désertification inexorable de ses terres.
 
La problématique hydrique en mer d'Aral revêt une dimension géopolitique largement relayée par les experts internationaux : des pays positionnés en amont des cours d'eau, tels que le Kirghizstan, bénéficient d'un accès privilégié aux ressources en eau et déploieraient une gestion plus efficace que certains pays situés en aval. En dépit d'un traité international sur l'eau datant de 1998, l'Ouzbékistan exportateur de coton se trouverait ainsi encore aujourd'hui en situation de grande dépendance à l'égard de son voisin kirghize qui contrôle l'écoulement de l'eau dans le bassin d'Aral. Ainsi contraint de puiser toujours plus dans ses ressources propres, l'Ouzbékistan et ses besoins en eau seraient donc à l'origine de l'assèchement de la Mer d'Aral, dont la superficie a par ailleurs reculé de moitié entre 1960 et 2000.
 
Dénonçant un distinguo infondé entre les bons et les mauvais élèves de l'Asie centrale, Raphaël Jozan démontre, chiffres à l'appui, que les fondements mêmes de cette analyse sont erronés. L'auteur compare en effet les statistiques officielles habituellement utilisées dans la conception de modèle de développement et de gestion de l'eau dans cette région avec le résultat de ses propres enquêtes. Il révèle ainsi des fossés considérables entre la réalité des experts et celle du terrain : l'auteur rapporte ainsi l'existence d'importante ressource en eau non répertoriées, la moitié de la production cotonnière kirghize serait issue de la contrebande en provenance d'Ouzbékistan, une part significative des cultures agricoles de ce pays ne serait également absente des registres officiels.
 
Pour Raphaël Jozan, les problèmes de gestion de l'eau dans la région de la mer d'Aral sont donc beaucoup plus complexes que ce que les chiffres officiels ne le laissent penser. Le chercheur met ainsi en garde contre ce « gospel de la pénurie » chanté dans la région par les autorités locales à l'insu d'experts internationaux qui se bornent à travailler à partir des informations que l'on a bien voulu leur donner. En conclusion d'une étude à la croisée de l'ingénierie et de la sociologie, Raphaël Jozan n'hésite pas à affirmer que les tensions régionales au sujet des ressources hydriques sont entretenues par le déploiement de politique de gestion fondamentalement biaisée. À en croire l'exemple ici développé, les origines potentielles de la « guerre de l'eau » ont toutes les chances d'être administratives avant même d'être écologiques.
 

 

 (1) JOZAN, R., Les débordements de la mer d'Aral – Une sociologie de la guerre de l'eau, PUF, 2012, 240pp..










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