Sensemaking: Avant d'entrer dans le vif du sujet, pourriez-vous nous aider à mieux circonscrire les contours de votre métier?
Jean-Pierre Créange : Pragma Capital est une société indépendante de gestion de fonds, spécialisée dans l'accompagnement en capital d'entreprises françaises de taille moyenne. Le fondement-même de notre métier, c'est d'être un partenaire financier des managers dans les opérations de capital transmission ou de développement de l'entreprise. Pour cela, nous intervenons par des investissements en fonds propres dans les entreprises, grâce aux fonds levés auprès d'investisseurs institutionnels. Chacun de ces investissements varie généralement de 10 à 50 millions d'euros. Aujourd'hui, Pragma Capital revendique presque 600 millions d'euros sous gestion, que nous avons investis dans de très belles entreprises en croissance: certaines sont encore des gazelles, tandis que nous en avons vu d'autres devenir des champions français, voire internationaux. Et on ne peut s'empêcher, avec mes associés, de penser que nous y sommes un peu pour quelque chose. Nos participations nous engagent généralement sur plusieurs années auprès des entreprises et, forcément, quand on voit grandir quelque chose, on s'y attache!
Il est vrai que vous mettez en avant, chez Pragma Capital, une approche élargie de l'actionnariat professionnel. Où s'arrêtent vos prérogatives?
Il est vrai que notre métier ne se limite pas à l'apport de capitaux, et d'ailleurs il serait erroné de considérer qu'il s'agit seulement de services "associés". Bien au contraire, ils fondent la spécificité de notre métier de capital-investisseurs, j'entends par là: le conseil en stratégie et en management. L'investissement et le conseil sont indissociables: nos choix d'investissement nous engagent lourdement, puisque nous devons aussi, en tant que gestionnaires de fonds, rendre des comptes sur la performance de ceux-ci. Il faut donc avoir une connaissance très fine de l'entreprise et de son environnement de marché, pour légitimer nos choix d'investissement. Or, il s'avère que c'est précisément cette expertise qui séduit les chefs d'entreprises: lorsqu'ils font appel à un capital-investisseur, ils trouvent en lui un interlocuteur, pas un comptable! D'ailleurs, avec le recul et l'expérience, j'en viens parfois à me demander si le recours au private equity n'est pas, justement, privilégié par les managers du fait de cette relation de proximité. Nous avons donc un double rôle: celui "d'intermédiation" financière, et celui de conseil. C'est d'autant plus important à une époque où les grands établissements bancaires ont une inéluctable tendance à -d'une part-, se bureaucratiser et, d'autre part, à se désengager de l'économie réelle.
Puisque vous évoquiez le poids de vos engagements financiers, n'êtes-vous pas tentés parfois d'infléchir les orientations stratégiques décidées par les managers? Ne vous a-t-on jamais reproché une forme d'ingérence?
Jamais, et c'est même tout l'inverse: nous nous efforçons d'apporter un suivi personnalisé à chaque entreprise, et nous ne nous engageons auprès des managers qu'après nous être assurés que nos conceptions respectives du projet d'entreprise sont en parfaite symbiose.
La clé de voûte du succès, dans l'aventure entrepreneuriale, reste le lien de confiance qui se bâtit au fil de nos échanges avec le manager. C'est pour cette raison que nous préservons rigoureusement son autonomie de gestion. Notre rôle, c'est de mettre en perspective le projet entrepreneurial, et d'aider les managers à inscrire celui-ci dans une performance durable. Ils sont eux-mêmes demandeurs de cette expertise, car en plus de la charge quotidienne que représente la conduite d'une entreprise, ils se sentent parfois démunis face à un environnement stratégique très instable et fluctuant sur le plan juridique, fiscal, réglementaire, concurrentiel ou... technologique. C'est sur cet environnement de marché que porte notre expertise, ainsi que sur l'éventail des choix stratégiques permettant de s'y insérer le plus efficacement possible.
Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de ces conseils, que vous prodiguez?
Dans le cadre de notre politique ESG, par exemple, nous épaulons les managers dans la mise en place opérationnelle de mesures visant à exercer leur activité de manière plus respectueuse de leur environnement écologique, mais aussi humain. Nous les conseillons par ailleurs quant aux évolutions concurrentielles, technologiques du marché... Pour dire les choses plus prosaïquement, nous nous projetons dans l'avenir de l'entreprise tout en gardant un oeil sur les contraintes du présent.
A ce propos, la démarche de Pragma Capital est régulièrement citée en exemple concret de politique ESG. Pourquoi vous-êtes vous engagés dans cette voie?
Pour deux raisons essentielles. La première, c'est que l'opinion perçoit le monde de la finance -en partie à juste titre -, comment un univers sans foi ni loi. Or chez Pragma, nous avons toujours fermement veillé à exercer notre métier de façon responsable et transparente. En revendiquant une démarche ESG, nous n'avons fait que formaliser des pratiques de bonne gouvernance bien ancrées et unanimement partagées chez nous. La deuxième raison, c'est qu'au cours de toutes ces années, nous avons pu observer les bénéfices retirés par l'entreprise d'une stratégie de réduction de son empreinte écologique, ou d'une refonte de sa politique sociale. Tôt ou tard, celles-ci se traduisent par des gains de productivité, des économies, voire par l'obtention de nouveaux marchés. Tout le monde est gagnant!
Revenons sur vos critère de sélection des investissements: quel projet-type doit-on vous soumettre pour attirer votre attention?
Nous parlions de politique ESG: celle-ci implique que nous tenions compte de critères extra-financiers, aussi bien que des éléments purement comptables. J'ai de toute façon l'habitude de dire que les quatre piliers d'un projet entrepreneurial "béton" sont: l'idée, l'opportunité, le business model, et la vision stratégique. On a beau avoir un business plan solidement argumenté: sans créativité et sans enthousiasme, on n'est pas entrepreneur, on est - au mieux - un bon gestionnaire. Pour ce qui est de l'aspect financier, il est étudié au cas par cas, en gardant bien à l'esprit que si des managers font appel à nous, c'est justement pour assurer la solvabilité de leurs projets, et ajuster les ressources financières à leurs besoins. Dans un premier temps, il nous appartient donc d'attribuer objectivement une valeur au projet. Mais encore une fois, tout ceci n'est rien sans la qualité du manager lui-même, et celle de la relation que nous sommes capables de créer ensemble.
Sans trop entrer dans les considérations techniques, comment procédez-vous?
L'évaluation, d'un point de vue purement financier, s'appuie en règle générale sur l'incontournable plan d'affaires. S'il est bien réalisé, il nous permet d'anticiper des objectifs et d'identifier par quels canaux le projet entrepreneurial peut devenir source de création de valeur. Nous passons donc par le maniement d'hypothèses, de scenarii, d'estimations de variables diverses, censées refléter fidèlement ce que sera le projet plusieurs années après, s'il est correctement géré, mais aussi bien conseillé. Il faut au final qu'on ait une idée très précise des flux de trésorerie qui seront générés et des risques qui y sont associés. Car dans le private equity, nous partageons les opportunités, comme les risques inhérents à chaque projet. C'est ça, la finance entrepreneuriale!
Jean-Pierre Créange : Pragma Capital est une société indépendante de gestion de fonds, spécialisée dans l'accompagnement en capital d'entreprises françaises de taille moyenne. Le fondement-même de notre métier, c'est d'être un partenaire financier des managers dans les opérations de capital transmission ou de développement de l'entreprise. Pour cela, nous intervenons par des investissements en fonds propres dans les entreprises, grâce aux fonds levés auprès d'investisseurs institutionnels. Chacun de ces investissements varie généralement de 10 à 50 millions d'euros. Aujourd'hui, Pragma Capital revendique presque 600 millions d'euros sous gestion, que nous avons investis dans de très belles entreprises en croissance: certaines sont encore des gazelles, tandis que nous en avons vu d'autres devenir des champions français, voire internationaux. Et on ne peut s'empêcher, avec mes associés, de penser que nous y sommes un peu pour quelque chose. Nos participations nous engagent généralement sur plusieurs années auprès des entreprises et, forcément, quand on voit grandir quelque chose, on s'y attache!
Il est vrai que vous mettez en avant, chez Pragma Capital, une approche élargie de l'actionnariat professionnel. Où s'arrêtent vos prérogatives?
Il est vrai que notre métier ne se limite pas à l'apport de capitaux, et d'ailleurs il serait erroné de considérer qu'il s'agit seulement de services "associés". Bien au contraire, ils fondent la spécificité de notre métier de capital-investisseurs, j'entends par là: le conseil en stratégie et en management. L'investissement et le conseil sont indissociables: nos choix d'investissement nous engagent lourdement, puisque nous devons aussi, en tant que gestionnaires de fonds, rendre des comptes sur la performance de ceux-ci. Il faut donc avoir une connaissance très fine de l'entreprise et de son environnement de marché, pour légitimer nos choix d'investissement. Or, il s'avère que c'est précisément cette expertise qui séduit les chefs d'entreprises: lorsqu'ils font appel à un capital-investisseur, ils trouvent en lui un interlocuteur, pas un comptable! D'ailleurs, avec le recul et l'expérience, j'en viens parfois à me demander si le recours au private equity n'est pas, justement, privilégié par les managers du fait de cette relation de proximité. Nous avons donc un double rôle: celui "d'intermédiation" financière, et celui de conseil. C'est d'autant plus important à une époque où les grands établissements bancaires ont une inéluctable tendance à -d'une part-, se bureaucratiser et, d'autre part, à se désengager de l'économie réelle.
Puisque vous évoquiez le poids de vos engagements financiers, n'êtes-vous pas tentés parfois d'infléchir les orientations stratégiques décidées par les managers? Ne vous a-t-on jamais reproché une forme d'ingérence?
Jamais, et c'est même tout l'inverse: nous nous efforçons d'apporter un suivi personnalisé à chaque entreprise, et nous ne nous engageons auprès des managers qu'après nous être assurés que nos conceptions respectives du projet d'entreprise sont en parfaite symbiose.
La clé de voûte du succès, dans l'aventure entrepreneuriale, reste le lien de confiance qui se bâtit au fil de nos échanges avec le manager. C'est pour cette raison que nous préservons rigoureusement son autonomie de gestion. Notre rôle, c'est de mettre en perspective le projet entrepreneurial, et d'aider les managers à inscrire celui-ci dans une performance durable. Ils sont eux-mêmes demandeurs de cette expertise, car en plus de la charge quotidienne que représente la conduite d'une entreprise, ils se sentent parfois démunis face à un environnement stratégique très instable et fluctuant sur le plan juridique, fiscal, réglementaire, concurrentiel ou... technologique. C'est sur cet environnement de marché que porte notre expertise, ainsi que sur l'éventail des choix stratégiques permettant de s'y insérer le plus efficacement possible.
Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de ces conseils, que vous prodiguez?
Dans le cadre de notre politique ESG, par exemple, nous épaulons les managers dans la mise en place opérationnelle de mesures visant à exercer leur activité de manière plus respectueuse de leur environnement écologique, mais aussi humain. Nous les conseillons par ailleurs quant aux évolutions concurrentielles, technologiques du marché... Pour dire les choses plus prosaïquement, nous nous projetons dans l'avenir de l'entreprise tout en gardant un oeil sur les contraintes du présent.
A ce propos, la démarche de Pragma Capital est régulièrement citée en exemple concret de politique ESG. Pourquoi vous-êtes vous engagés dans cette voie?
Pour deux raisons essentielles. La première, c'est que l'opinion perçoit le monde de la finance -en partie à juste titre -, comment un univers sans foi ni loi. Or chez Pragma, nous avons toujours fermement veillé à exercer notre métier de façon responsable et transparente. En revendiquant une démarche ESG, nous n'avons fait que formaliser des pratiques de bonne gouvernance bien ancrées et unanimement partagées chez nous. La deuxième raison, c'est qu'au cours de toutes ces années, nous avons pu observer les bénéfices retirés par l'entreprise d'une stratégie de réduction de son empreinte écologique, ou d'une refonte de sa politique sociale. Tôt ou tard, celles-ci se traduisent par des gains de productivité, des économies, voire par l'obtention de nouveaux marchés. Tout le monde est gagnant!
Revenons sur vos critère de sélection des investissements: quel projet-type doit-on vous soumettre pour attirer votre attention?
Nous parlions de politique ESG: celle-ci implique que nous tenions compte de critères extra-financiers, aussi bien que des éléments purement comptables. J'ai de toute façon l'habitude de dire que les quatre piliers d'un projet entrepreneurial "béton" sont: l'idée, l'opportunité, le business model, et la vision stratégique. On a beau avoir un business plan solidement argumenté: sans créativité et sans enthousiasme, on n'est pas entrepreneur, on est - au mieux - un bon gestionnaire. Pour ce qui est de l'aspect financier, il est étudié au cas par cas, en gardant bien à l'esprit que si des managers font appel à nous, c'est justement pour assurer la solvabilité de leurs projets, et ajuster les ressources financières à leurs besoins. Dans un premier temps, il nous appartient donc d'attribuer objectivement une valeur au projet. Mais encore une fois, tout ceci n'est rien sans la qualité du manager lui-même, et celle de la relation que nous sommes capables de créer ensemble.
Sans trop entrer dans les considérations techniques, comment procédez-vous?
L'évaluation, d'un point de vue purement financier, s'appuie en règle générale sur l'incontournable plan d'affaires. S'il est bien réalisé, il nous permet d'anticiper des objectifs et d'identifier par quels canaux le projet entrepreneurial peut devenir source de création de valeur. Nous passons donc par le maniement d'hypothèses, de scenarii, d'estimations de variables diverses, censées refléter fidèlement ce que sera le projet plusieurs années après, s'il est correctement géré, mais aussi bien conseillé. Il faut au final qu'on ait une idée très précise des flux de trésorerie qui seront générés et des risques qui y sont associés. Car dans le private equity, nous partageons les opportunités, comme les risques inhérents à chaque projet. C'est ça, la finance entrepreneuriale!