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De la déconstruction au wokisme, Marcel KUNTZ


La Rédaction
Mercredi 13 Décembre 2023



Marcel Kuntz dans « De la déconstruction au wokisme : la science menacée » analyse la déconstruction, initialement conçue comme un outil d’analyse critique, et son impact sur les fondements de la méthode scientifique. Il examine également le wokisme, un mouvement sociopolitique, et met en lumière les interférences croissantes entre les idéologies contemporaines et la rigueur scientifique. L’auteur partage des exemples concrets et des anecdotes pour illustrer les multiples dimensions de cette menace émergente. L’ouvrage souligne l’importance de préserver l’intégrité scientifique face aux influences idéologiques qui pourraient compromettre la recherche objective.



Dans votre définition du wokisme, vous écrivez : « on peut définir le wokisme comme la version fanatique du postmodernisme. » Quelles peuvent-être les dérives les plus extrêmes du wokisme à votre avis ?

Je répondrais spontanément la cancel culture, cette fièvre de l’« annulation », qui peut être placée dans l’histoire, déjà longue, de la censure. On peut considérer que des empêchements de pratique d’un art, de conférence, ou d’enseignement, des « déboulonnages » ou des vandalismes de statues ou d’autres formes de rejet de certains personnages historiques ne sont pas nouveaux dans l’Histoire. Ni d’ailleurs le refus de l’expression publique de certaines personnalités (critique de Napoléon III, Victor Hugo a dû s’exiler).

Là où l’idéologie postmoderne et le wokisme représentent vraiment un basculement, c’est qu’ils renversent le mouvement moderne issu des Lumières vers la Liberté (une des devises de la République) vers une conception répressive que l’on croyait cantonnée aux régimes dictatoriaux.

Ce qui m’a le plus surpris en étudiant ce phénomène dans le monde scientifique, c’est le nombre de cas (on en trouve aussi en Europe) et les causes de ces « annulations » : perdre son poste (aux États-Unis), pour « racisme », car on a parlé dans un cours de « virus chinois » à propos du virus de la Covid-19 nous donne une idée de la répression woke.

Pensez-vous que la déconstruction soit indispensable au progrès dans nos sociétés ou au contraire le ralentit-elle ?

Je rappelle dans le livre que le terme de « déconstruction » (Abbau) a été utilisé par Heidegger pour désigner la « déconstruction critique des concepts reçus ». Il ne s’agit pas chez ce philosophe d’un sens négatif : il signifie revenir aux expériences « originaires », afin de reposer la question du « sens de l’être ». Des auteurs de la French Theory ont ensuite repris le concept, tout en le rendant confus, mais on peut néanmoins le comprendre comme la critique des concepts reçus dans la civilisation occidentale (qui est souvent pour eux l’ennemi absolu). Ces idées sont ensuite devenues nihilistes dans certaines chapelles des sciences humaines et sociales, devenues hégémoniques dans leur domaine. Il ne s’agit plus d’une réflexion critique qui permet à une société de progresser, mais au contraire de destruction délibérée, au moins sur le plan intellectuel. Comme les « Elites » françaises sont formées dans leurs écoles par de tels idéologues, la conséquence en est une déconstruction civilisationnelle organisée, et d’un divorce de plus en plus marqué entre ces « Elites » et le reste du pays.

Pourquoi ne pas avoir inclus le mot Culture dans votre abécédaire alors que le wokisme remet sans cesse en question cet aspect de nos sociétés ?

J’ai tenu à structurer la première partie du livre sous forme d’un abécédaire, où chaque lettre est consacrée à un thème. Il s’agit de fournir au lecteur la possibilité de trouver ce qu’il faut savoir sur un mot de la panoplie postmoderne, qu’il a pu lire ou entendre dans les médias ou sur internet. L’idée étant que le livre, à portée de main, permette de décrypter rapidement un thème donné.

Il se trouve que la lettre C est consacrée au thème de la « culpabilité » (occidentale) par rapport aux évènements tragiques du passé. C’est un thème majeur, car sans l’imposition d’une telle culpabilité, y compris d’ailleurs aux enfants dans les écoles (voir la propagation de l’« éco-anxiété »), beaucoup de thèmes de la propagande wokiste seraient rejetés, car trop liberticides ou destructifs.

Le thème de la culture, ou plutôt la conséquence du postmodernisme sur la culture dominante est présent dans différentes entrées du livre.

Dans un plus large contexte, quelles seront les limites et difficultés de l’adaptation des œuvres culturelles, historiques, etc. pour répondre aux nouvelles normes contemporaines ? (Par exemple, dans le film Mourir peut attendre de Cary Joji Fukunaga, l’agent 007 est incarné par une femme)

Dans ce film, le numéro 007 a été donné à une femme après la retraite de James Bond, mais ce dernier, symbole pour certains de la « masculinité toxique », doit être rappelé à l’aide pour sauver le monde… C’est amusant ! L’air du temps, postmoderne, implique cependant de montrer un Bond fragilisé. Ce qui n’est en revanche pas postmoderne dans ce film, ce sont les thèmes de la famille et de l’héritage laissé après soi. Ce James Bond est également une ode au sacrifice, ce qui est dans la tradition de la chevalerie, plutôt que dans la mode du safe space où on veut éviter d’être confronté au réel qui peut « offenser ».

Il est aussi révélateur de voir la wokisation de Disney. Qui ne peut éclater de rire en lisant que dans les Aristochats, les chats siamois pourraient engendrer des préjugés à l’égard de la communauté asiatique ? Il existe bien d’autres délires wokistes de Disney. Il est cependant aussi intéressant de voir le reflux, car le public n’adhère pas : « Nous devons d’abord divertir. Il ne s’agit pas d’envoyer des messages », a finalement reconnu le PDG de Disney…

Il n’en reste pas moins que pour les œuvres actuelles, y compris en France, l’imprégnation idéologique reste forte. Et aussi dans la publicité, qui martèle le thème de la « diversité heureuse ». Il s’agit bien d’envoyer un « message » politique (ou pour le moins de l’épouser dans le cas de la pub). Cependant, les œuvres, le cinéma notamment, ont toujours envoyé des messages (voir les films de Charlie Chaplin par exemple). Cependant, pour le wokisme d’importation des États-Unis, il faut à tout prix afficher sa vertu non raciste. Quitte à falsifier l’histoire en dépeignant une reine d’Angleterre noire… Nous sommes loin du Dictateur de Chaplin !

Nous verrons si le wokiste refluera là aussi. L’important pour le moment est que les œuvres non politiquement correctes ne soient pas impossibles à créer.










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