SenseMaking
 



Covid, Ukraine, élections : rien que des mots ?


Bertrand Marie Flourez
Mardi 21 Juin 2022



Covid 19, guerre en Ukraine, élections en France. À chacun son calendrier. Mais dans notre monde hyper-connecté, nous avons enfin réalisé que les calendriers sont interconnectés et que l’histoire, continuité et ruptures, va son chemin. La question est alors de ne pas se tromper de mot. Et c’est pourquoi la troisième guerre mondiale n’aura pas lieu.

Bertrand Marie Flourez, auteur de "Notre conscience nous appartient" (VA Éditions).



« Le premier, le plus important, le plus décisif acte de jugement qu’un homme d’État ou un commandant en chef exécute consiste dans l’appréciation correcte du genre de guerre qu’il entreprend, afin de ne pas la prendre pour ce qu’elle n’est pas et de ne pas vouloir en faire ce que la nature des circonstances lui interdit d’être ». Carl von Clausewitz1.
 
La méthode est ainsi simple et connue : on ne peut penser un monde nouveau avec des mots anciens. Même la création est affaire de méthode, contre-méthode, anti-méthode peu importe, pour analyser ou créer, il faut des outils. Et le premier est la conscience critique. Sans elle, nous sortons de l’Histoire et surtout, de notre propre histoire.
 
Largement développée dans « Notre conscience nous appartient »2, la conscience critique est ce reflexe premier de considérer qui l’on est, et de poser devant soi les mots avec lesquels nous allons recomposer et penser les objets, phénomènes et évènements. Penser un monde nouveau avec les mots appropriés.

Une énième guerre mondiale ?

Nous avons connu deux guerres dites mondiales au XXe siècle. Un certain nombre d’États-nations se sont affrontés du fait d’alliances politiques et économiques. L’enjeu était territorial pour certains : occuper et prendre possession de l’espace de l’autre. Il était aussi économique : gagner en puissance, en ressources, en influence, etc. Et bien entendu, la volonté idéologique d’imposer un système politique, culturel et social à d’autres États ou espaces (découpage de territoires) était également un élément essentiel. Donc, interconnexions d’États-nations, guerres mondiales.
 
L’État-nation est-il aujourd’hui la seule référence ? Puisqu’il faut savoir « penser différemment », savoir « sortir du cadre », « sortir de la zone de confort » et même « casser les codes », sans doute est-ce le moment de le faire. Interrogeons les mots.

Guerre

« Nous sommes en guerre » : les responsables politiques l’ont dit et nous l’avions compris depuis longtemps. En général, nous nous accordons sur ces définitions3 :
- Situation conflictuelle entre deux ou plusieurs pays, États, groupes sociaux, individus, avec ou sans lutte armée.
- Rapports conflictuels qui se règlent par une lutte armée, en vue de défendre un territoire, un droit ou de les conquérir, ou de faire triompher une idée.
 
Reste à identifier le genre de guerre dans laquelle nous pensons être, et le cadre d’opérations dans lequel nous nous inscrivons.

Guerre mondiale ou conflit ou... ?

Par habitudes de langage, de concept et culture historique, nous pensons qu’après les deux premières guerre mondiales, il peut y en avoir une troisième.
 
Non. Il n’y aura pas de troisième guerre mondiale parce que la guerre dans laquelle nous sommes déjà engagés, depuis un certain temps, est la première guerre planétaire. Il faudrait même sans doute dire, le premier conflit planétaire, le mot guerre étant contextualisé et daté.
 
Les raisons qui poussent à renommer l’état des lieux impliquent, nous le savons,
a - des États certes, officiels, reconnus comme tels, avec leurs intérêts et leurs moyens ;
b - des organisations ou entités internationales : ONU, OTAN, Union Européenne, G5, 7, 20... ;
c - des groupes non étatiques et non territorialisés mais organisés, financés et alimentés par des États, des entreprises, des trafics internationaux, comme les groupes islamistes, etc. ;
d - des entreprises internationales et mondialisées liées à l’énergie (pétrole, gaz), aux ressources premières (eau, métaux, minerais…), aux ressources alimentaires, aux moyens de communication et d’information (GAFAM), ou encore des institutions financières, hors-sol, qui dirigent de fait l’activité de millions d’êtres humains répartis à travers la planète.
 
Ces entreprises internationales, liées à des productions diverses ou simplement financières, sont des acteurs à part entière, au même titre que les États-nations classiques. Elles ont des intérêts autonomes, des moyens d’actions qui impactent directement nos vies et, partant, l’ensemble de nos organisations sociales, États compris.
 
Face à cette situation, les décisions aujourd’hui ne dépendent donc plus des seuls États-nations, même si ces derniers ont encore le monopole formel des forces armées et de sécurité. Les États-nations parent au plus pressé dans leurs territoires mais l’action sécuritaire n’est plus la seule action à mener dans cette nouvelle guerre. Les aspirations des populations sont tout autant liées à leurs identités, aux moyens économiques de leur développement, à l’alimentation ou à l’environnement climatique. Sans oublier justement des vagues d’immigrations liées à des conflits locaux. Elles sont un élément à part entière dans ce premier conflit planétaire, même si les instances internationales continuent de jouer le jeu des représentations politiques formelles.
 
Guerre mondiale versus conflit planétaire : changer de mot c’est changer la vision, c’est voir le réel autrement, c’est commencer à agir.

Les causes de la guerre

Habituellement, nous analysons les causes des guerres selon un axe historique.
- Les causes lointaines : premiers peuplements, racines ethniques, culturelles, religieuses...
- Les causes plus proches : les colonisations, conflits politico-économiques comme les guerres de 1870 puis 1914 puis 1939, les suites de la guerre froide, etc.
- Et des causes immédiates ou directes comme celles qui suivirent l’attentat du 11 septembre 2001, ou celle que nous connaissons actuellement en Ukraine, issue notamment du rapport de force Russie / OTAN / États-Unis.
 
Il reste donc à considérer la structuration globale de notre planète dans laquelle l’économie a pris la première place, dans laquelle, du fait de la numérisation de l’économie et de nos activités nous parlons bien de mondialisation ou globalisation.

Avant les combats

Quelle mutation profonde le monde est-il en train d’accomplir ou subir, entre une perspective de gouvernance mondiale4 et une évolution climatique globale ? Du monde bipolaire au multipolaire, la notion de pole n’est-elle pas déjà obsolète ?
 
Et si, finalement, après la guerre froide, nous étions directement entrés dans ce premier conflit planétaire larvé que l’on pourrait alors nommer non pas « guerre mondiale » mais, de fait, conflit planétaire de la mondialisation ? Identités, cultures, religions, niveaux de vie et climat peuvent-ils (doivent-ils) se recomposer, pacifiquement ? Nous ne sommes manifestement pas dans une simple compétition économique mais bien dans un enjeu de gouvernance planétaire.
 
Ce que vit l’Ukraine en cette année 2022 est un affrontement dramatique, une éruption violente dans laquelle meurent des innocents, un moment de ce conflit planétaire larvé de la mondialisation qui sera au final tragique pour tous, ou pas (le nucléaire n’est jamais loin). Ce moment est bien une guerre au sens traditionnel du terme, avec des combats, des crimes, des populations qui fuient, des propagandes perverses, un moment qui nous rappelle que la loi de la guerre est de ne pas en avoir. Mais il est l’enjeu d’un conflit plus grand, aux acteurs multiples répartis sur l’ensemble de la planète.
 
On peut aussi penser qu'un jour, pour la paix (mondiale), "on troquera" Taïwan contre de l'économie... histoire de ne pas reproduire l'Ukraine ?

Du conflit planétaire aux législatives

« Il n’y a pas d’esprit critique sans conscience critique ». Il n’y a pas que la guerre - militaire - pour répondre à la guerre. Nous sommes dans un monde connecté et planétaire dont la réalité s’ouvre à la virtualité d’un monde qui, de fait, est supra-planétaire, qui s’est déjà nommé « Méta ». Plus que jamais, il est indispensable de savoir qui nous sommes pour pouvoir penser et évaluer ce qui se passe réellement. Libérer nos consciences.
 
Et dans notre « petite » France, nous venons d’avoir nos élections législatives. Elles pourraient paraître bien dérisoires ? Elles ne le sont pas. Bien au contraire. Avec les enjeux de politique politicienne, avec nos réalités bien concrètes de pouvoir d’achat, de retraite, de sécurité, de santé, d’éducation... elles sont ce qui nous rattache aux réalités et surtout à ce que nous sommes, chacun d’entre nous. Qui je suis, qui est l’autre, quelles relations construisons-nous pour vivre nos réalités, notre humanité ?
 
Or la France parle au monde. Avec ou sans nous. C’est notre histoire. Si le luxe est mondialisé, le français a gardé son accent. Et notre théâtre franco-français sait réunir guignol et la tragédie. Les moments douloureux que nous avons vécu durant la première année de l’épidémie de la covid nous ont déjà alertés sur nos relations à nous-même, à l’autre, à ceux que nous aimons, et au sens de notre vie. Gagner sa vie pour la perdre ?
 
L’occasion est peut-être là. Et si ce n’était pas une simple élection législative de plus ? Et si, comme par sérendipité5, sans l’avoir pensé et voulu, nous pouvions faire entendre une voie nouvelle, renommer pour nous et pour ceux qui veulent entendre, les mots d’une autre vie, d’une autre façon d’être au monde ? Reconsidérons les mots, les appellations qui nous semblent aller de soi, qui nous semblent inéluctables ou irréversibles et qui ne le sont pas du tout. Qui fait la mondialisation, pour qui, pour quoi ? Qui décide pour qui ?
 

« Car le monde sera ce que tu en feras »

Méthodologiquement, par delà nos émotions légitimes, la pleine conscience de ce qui se joue nous permet de reconsidérer nos relations et de réparer nos blessures. Il convient donc de ne pas se tromper d’analyse et surtout de niveau d’analyse, et pour cela, commencer à prendre les mots adéquats. Le conflit planétaire de la mondialisation ne s’opère pas seulement contre nos sociétés « privilégiées », nos modes de vie, notre développement économique ou même nos valeurs et symboles. Il tend vers une recomposition complète de la planète. A chacun de nous de savoir et de décider si ce conflit, rendu désormais inéluctable, se fera contre nous, avec nous ou sans nous.

 

1 Cité par M. Martin MOTTE in Carl von CLAUSEWITZ (1780-1831), Pensées mili-terre, Centre de doctrine et d’enseignement du commandement, 2018, https://www.penseemiliterre.fr/carl-von-clausewitz-1780-1831-_422_1013077.html
2 BM Flourez, Notre conscience nous appartient, Valeur Ajoutée éditions, juin 2022
3 cf. : site du CNRTL - http://www.cnrtl.fr/definition/guerre
4 Le concept s’est notamment développé après la fin de la « guerre froide » qui n’a pas signé la fin des volontés de puissance.
5 Sérendipité : faire, par hasard et sagacité, une découverte inattendue et fructueuse (source Wikipédia).










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