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Bardella : une claironnante victoire, mais la messe n’est pas dite


Yannick Mireur
Samedi 15 Juin 2024



Le RN a ceci de commun avec le FN, mais aussi avec les Verts, que ces partis ont toujours remporté des succès au scrutin proportionnel à un tour des élections européennes. Le millésime 2024 est historique, car il confirme la puissance montante du mouvement après son entrée fracassante au Palais Bourbon en 2022, malgré un scrutin uninominal à deux tours défavorable aux partis sans alliés. L’exploit devra être réédité en plus grand aux législatives de juillet annoncées par la stupéfiante dissolution de l’Assemblée nationale.



Ce succès européen et les élections à venir rendent d’autant plus pressante la question du jeune président du parti auquel Marine Le Pen a cédé les rênes il y a deux ans pour se consacrer à 2027, et qui s’est imposé comme une pièce maîtresse de la marche vers le pouvoir exécutif. Le débat Attal-Bardella du 23 mai a permis de se faire un début d’idée. Habile, mais creux, inexpérimenté et léger sur le fond face à un Attal aguerri et incisif ? A voir : attendre d’un homme de 28 ans sorti des rangs des militants de démontrer l’expérience de responsabilités qu’il n’a jamais exercées, n’aurait aucun sens. Soyons honnêtes : Bardella eût-il défendu les couleurs de tout autre parti, de LR à EELV, qu’un déluge de louanges aurait célébré son calme, sa résilience, même une certaine hauteur face à un jeune Premier ministre par définition plus au fait des dossiers, avantagé par six années de plus et quelques postes ministériels, mais accablant frénétiquement son adversaire de chiffres plutôt que débattant avec lui de grands enjeux ou d’une vision.

Manquant parfois de répartie, esquivant ostensiblement, l’exercice ne fut pas parfait, mais confirma le potentiel d’un talent politique inné, devant un garçon se défendant bien, mais héritant d’un bilan difficile, lui, à défendre. Au total, deux figures prometteuses, la plus jeune semblant disposer d’une marge de progression supérieure, tant les fiches et les chiffres s’apprennent, les compétences s’acquièrent et à défaut s’adjoignent, mais les qualités intrinsèques que l’on peut discerner parmi les responsables politiques, sont inhérentes à leur personnalité. Ceux qui par passion ou avec réserve, par désespoir ou vote tactique, ont soutenu le RN aux Européennes, étaient légitimes à penser que les trois ans à venir seraient des années de formation et de murissement, ou bien au contraire révéleraient les défaillances du jeune prodige. Idem d’ailleurs pour Gabriel Attal. Le calendrier imposé par la dissolution ne laissera pas ce temps ; si d’ailleurs le RN gagnait le 7 juillet, le Premier ministre sera-t-il Bardella ou Marine Le Pen ?  

Si l’une ou l’autre devait en juillet accéder à Matignon, soyons clairs : leurs compétences resteront par nature limitées par le non-exercice de responsabilités exécutives, dussent-ils mémoriser des armoires de fiches comme doit s’y astreindre tout élève aspirant à l’ex-ENA. L’urgence, en revanche, est de maîtriser les grands mouvements plus que les détails, en particulier macroéconomiques, afin d’enrayer la grande crainte que suscitent les orientations budgétaires du RN et de les concilier avec ses priorités sociales. Démontrer au pays que la réduction des dépenses publiques n’est pas incompatible avec l’amélioration des conditions de vie des classes moyennes et populaires, voilà une des clefs pour gagner en juillet, et peut-être gravir en 2027 la plus haute marche. Défenseur des catégories souffrant le plus de la concurrence globale et de la révolution numérique, il est impératif au RN de contrer l’argument d’incompétence économique – qui n’empêcha pas une coalition socialo-communiste d’accéder au pouvoir en 1981 sur un programme ruineux.

En bref, le RN avait trois ans pour rendre économiquement viable un discours proche de la « fracture sociale » qui porta Jacques Chirac à l’Élysée en 1995, il a maintenant trois semaines. L’exercice du pouvoir n’étant pas du même registre que sa conquête, ce délai court devra suffire à l’ajustement qu’il exige en général, notamment parmi entourage et conseillers, où le compagnonnage est mis à l’épreuve des responsabilités qui échoient. Le RN et son « ticket » à l’américaine annoncé pour 2027, désormais pris de court, devra, s’il sort vainqueur des législatives, exercer le pouvoir tout en apprenant à l’exercer. Mais c’est aussi, paradoxalement, son atout ; le RN progresse parce qu’il est le seul à n’avoir jamais été au pouvoir, et détient seul la légitimité du combat contre l’immigration excessive, ses graves conséquences sur la cohésion nationale et l’état psychique du pays.

L’exemple italien n’étant pas entièrement convaincant, il lui faudra en tirer les leçons afin de présenter une équipe gouvernementale solide, dans l’intérêt général du pays et de notre vie politique que la dissolution jette dans l’incertitude.

 

Yannick Mireur est l'auteur de "Populisme Smart" publié chez VA Éditions
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