L’indignation grandit. Pour beaucoup de citoyens, en particulier parmi les Gilets jaunes, l’État n’aurait jamais dû privatiser les autoroutes. Depuis le début du mouvement, les péages des autoroutes sont souvent la cible des manifestants. Parmi les premières mesures demandées, de nombreux cahiers de doléances demandent le retour au contrôle public de l’État ou, a minima, le reversement partiel des recettes aux finances publiques.
C’est précisément à ce moment que les sociétés concessionnaires autoroutières (SCA) doivent annoncer, comme chaque année, de nouvelles hausses des péages le 1er février 2019.
Explosif
Depuis la fin de l’année 2018, Élisabeth Borne, ministre des Transports, cherche à éteindre le feu qui couve avec les concessionnaires autoroutiers, notamment Vinci (Cofiroute, ASF, Escota), Eiffage (Area, APRR) et Abertis (Sanef, SAPN), officiellement pour accompagner les hausses tarifaires prévues — de 1,9 % en moyenne à partir de 2019. Rappelons que les 900 km d’autoroutes appartiennent à l’État, mais ce sont les sociétés concessionnaires qui les gèrent, qui décident des tarifs et qui investissent pour entretenir le réseau, un réseau de très bonne qualité. Tout cela coûte beaucoup d’argent, mais rapporte également beaucoup. Selon les derniers chiffres disponibles, les actionnaires des sociétés d’autoroutes se sont partagé 1,7 milliard d’euros de dividendes en 2017. Et 17 % des tickets aux péages leur sont revenus.
Le ministère des Transports étudie actuellement les propositions des sociétés d’autoroutes qui lui ont présenté des forfaits à tarif préférentiel ciblant les usagers effectuant des trajets domicile-travail. Ces réductions de prix — de 25 à 30 % — seraient proportionnelles au nombre d’allers et retours effectués par mois.
Pour la ministre des Transports, il est impossible de remettre en cause complètement les hausses prévues. Car l’État est lié par contrat aux sociétés d’autoroutes, la renégociation des contrats entre l’État et les sociétés d’autoroutes en 2015 s’étant faite sous l’égide d’Alexis Kohler et d’Élisabeth Borne elle-même — respectivement directeur de cabinet d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, et directrice de cabinet de Ségolène Royal, alors ministre de l’environnement.
Sous leur houlette, un protocole d’accord a été conclu avec les sept sociétés concessionnaires autoroutières historiques — filiales de Vinci, Eiffage ou Abertis, ces dernières exploitant l’essentiel du réseau autoroutier et surtout les parties les plus anciennes, totalement amorties. L’accord porte sur l’évolution des tarifs, les extensions de durée des concessions — allant de deux à cinq ans —, en contrepartie de 3,2 milliards d’euros de travaux supplémentaires sur dix ans. Il a été signé en avril 2015 par Emmanuel Macron, Ségolène Royal, Pierre Coppey, président des concessions autoroutières détenues par Vinci, Philippe Nourry, directeur général représentant les sociétés détenues par Eiffage, Lluis Deulofeu, représentant du groupe espagnol Abertis, et Alain Minc, PDG de la Sanef.
Secret
Cet accord est resté secret jusqu’alors, l’État refusant de le rendre public malgré maintes demandes. En décembre dernier, deux ans après avoir été saisi, les magistrats du Conseil d’État ont demandé communication de cet accord afin d’en prendre connaissance et d’examiner s’il était ou non communicable.
En septembre 2017, un journaliste de France 2 avait déjà révélé des extraits de cet accord secret prévoyant des hausses tarifaires jusqu’en 2023 (1). C’est maintenant au tour de Mediapart de délivrer la totalité de cet accord secret (2).
À la lecture du document, on comprend que l’État ne l’ait pas rendu public, tant il redoute l’accusation de capitulation face aux concessionnaires autoroutiers. L’État y accepte de compenser intégralement le gel des tarifs décidé en 2015 par « des hausses de tarifs additionnelles les 1er février de chaque année de 2019 à 2023 ». La formule de calcul est telle qu’elle entraîne un surcoût de 500 millions d’euros pour les usagers, selon les évaluations de l’Autorité de régulation des transports ferroviaires et routiers (Arafer).
De plus, l’accord a inscrit une hausse des tarifs, calculée sur une formule d’indexation sur l’inflation, allant jusqu’en 2029, voire 2031 pour certaines concessions. L’État s’engage en outre à compenser toute modification de la fiscalité générale, toute obligation nouvelle qui pourrait leur être imposée ou tout changement qui pourrait survenir.
Résiliable
Les intérêts publics ne sont-ils pas négligés, alors que les SCA ont l’assurance d’une rente perpétuelle et sans gros risque ? D’aucuns conseillent déjà de résilier ces contrats. Cela coûterait plusieurs dizaines de milliards d’euros selon les estimations. Selon l’avocat en droit routier Matthieu Lesage, c’est tout à fait envisageable : « Un jour, ça pourrait devenir une réalité parce qu’il y a la place juridique. Par exemple, l’État peut résilier le contrat de concession en cours parce qu’il y a une clause qui le lui permet, c’est le retour à bonne fortune, la bonne fortune de l’État, c’est-à-dire qu’il a l’argent pour remettre la main sur les autoroutes. Aujourd’hui, s’ils étaient résiliés, on pourrait remettre à plat les tarifs, une vraie mise en concurrence, les tarifs des péages baisseraient. L’Etat est le propriétaire du réseau autoroutier mais on ne dirait pas. » (3)
(1) https://www.sudouest.fr/2017/09/12/hausse-du-peage-l-etat-a-t-il-passe-un-accord-secret-avec-les-societes-d-autoroutes-3768829-4755.php
(2) https://www.mediapart.fr/journal/france/130119/autoroutes-les-dessous-des-relations-entre-l-etat-et-les-concessionnaires?onglet=full
(3) https://rmc.bfmtv.com/emission/faut-il-renationaliser-les-societes-d-autoroute-ca-fait-debat-sur-rmc-1607228.html?fbclid=IwAR0agDuGrqfqpa0K2hgMxcj_4O2POoi7SATf0j0Xs-IKg9DnTaFBcBUle78
C’est précisément à ce moment que les sociétés concessionnaires autoroutières (SCA) doivent annoncer, comme chaque année, de nouvelles hausses des péages le 1er février 2019.
Explosif
Depuis la fin de l’année 2018, Élisabeth Borne, ministre des Transports, cherche à éteindre le feu qui couve avec les concessionnaires autoroutiers, notamment Vinci (Cofiroute, ASF, Escota), Eiffage (Area, APRR) et Abertis (Sanef, SAPN), officiellement pour accompagner les hausses tarifaires prévues — de 1,9 % en moyenne à partir de 2019. Rappelons que les 900 km d’autoroutes appartiennent à l’État, mais ce sont les sociétés concessionnaires qui les gèrent, qui décident des tarifs et qui investissent pour entretenir le réseau, un réseau de très bonne qualité. Tout cela coûte beaucoup d’argent, mais rapporte également beaucoup. Selon les derniers chiffres disponibles, les actionnaires des sociétés d’autoroutes se sont partagé 1,7 milliard d’euros de dividendes en 2017. Et 17 % des tickets aux péages leur sont revenus.
Le ministère des Transports étudie actuellement les propositions des sociétés d’autoroutes qui lui ont présenté des forfaits à tarif préférentiel ciblant les usagers effectuant des trajets domicile-travail. Ces réductions de prix — de 25 à 30 % — seraient proportionnelles au nombre d’allers et retours effectués par mois.
Pour la ministre des Transports, il est impossible de remettre en cause complètement les hausses prévues. Car l’État est lié par contrat aux sociétés d’autoroutes, la renégociation des contrats entre l’État et les sociétés d’autoroutes en 2015 s’étant faite sous l’égide d’Alexis Kohler et d’Élisabeth Borne elle-même — respectivement directeur de cabinet d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, et directrice de cabinet de Ségolène Royal, alors ministre de l’environnement.
Sous leur houlette, un protocole d’accord a été conclu avec les sept sociétés concessionnaires autoroutières historiques — filiales de Vinci, Eiffage ou Abertis, ces dernières exploitant l’essentiel du réseau autoroutier et surtout les parties les plus anciennes, totalement amorties. L’accord porte sur l’évolution des tarifs, les extensions de durée des concessions — allant de deux à cinq ans —, en contrepartie de 3,2 milliards d’euros de travaux supplémentaires sur dix ans. Il a été signé en avril 2015 par Emmanuel Macron, Ségolène Royal, Pierre Coppey, président des concessions autoroutières détenues par Vinci, Philippe Nourry, directeur général représentant les sociétés détenues par Eiffage, Lluis Deulofeu, représentant du groupe espagnol Abertis, et Alain Minc, PDG de la Sanef.
Secret
Cet accord est resté secret jusqu’alors, l’État refusant de le rendre public malgré maintes demandes. En décembre dernier, deux ans après avoir été saisi, les magistrats du Conseil d’État ont demandé communication de cet accord afin d’en prendre connaissance et d’examiner s’il était ou non communicable.
En septembre 2017, un journaliste de France 2 avait déjà révélé des extraits de cet accord secret prévoyant des hausses tarifaires jusqu’en 2023 (1). C’est maintenant au tour de Mediapart de délivrer la totalité de cet accord secret (2).
À la lecture du document, on comprend que l’État ne l’ait pas rendu public, tant il redoute l’accusation de capitulation face aux concessionnaires autoroutiers. L’État y accepte de compenser intégralement le gel des tarifs décidé en 2015 par « des hausses de tarifs additionnelles les 1er février de chaque année de 2019 à 2023 ». La formule de calcul est telle qu’elle entraîne un surcoût de 500 millions d’euros pour les usagers, selon les évaluations de l’Autorité de régulation des transports ferroviaires et routiers (Arafer).
De plus, l’accord a inscrit une hausse des tarifs, calculée sur une formule d’indexation sur l’inflation, allant jusqu’en 2029, voire 2031 pour certaines concessions. L’État s’engage en outre à compenser toute modification de la fiscalité générale, toute obligation nouvelle qui pourrait leur être imposée ou tout changement qui pourrait survenir.
Résiliable
Les intérêts publics ne sont-ils pas négligés, alors que les SCA ont l’assurance d’une rente perpétuelle et sans gros risque ? D’aucuns conseillent déjà de résilier ces contrats. Cela coûterait plusieurs dizaines de milliards d’euros selon les estimations. Selon l’avocat en droit routier Matthieu Lesage, c’est tout à fait envisageable : « Un jour, ça pourrait devenir une réalité parce qu’il y a la place juridique. Par exemple, l’État peut résilier le contrat de concession en cours parce qu’il y a une clause qui le lui permet, c’est le retour à bonne fortune, la bonne fortune de l’État, c’est-à-dire qu’il a l’argent pour remettre la main sur les autoroutes. Aujourd’hui, s’ils étaient résiliés, on pourrait remettre à plat les tarifs, une vraie mise en concurrence, les tarifs des péages baisseraient. L’Etat est le propriétaire du réseau autoroutier mais on ne dirait pas. » (3)
(1) https://www.sudouest.fr/2017/09/12/hausse-du-peage-l-etat-a-t-il-passe-un-accord-secret-avec-les-societes-d-autoroutes-3768829-4755.php
(2) https://www.mediapart.fr/journal/france/130119/autoroutes-les-dessous-des-relations-entre-l-etat-et-les-concessionnaires?onglet=full
(3) https://rmc.bfmtv.com/emission/faut-il-renationaliser-les-societes-d-autoroute-ca-fait-debat-sur-rmc-1607228.html?fbclid=IwAR0agDuGrqfqpa0K2hgMxcj_4O2POoi7SATf0j0Xs-IKg9DnTaFBcBUle78