Article de Renaud Gaucher publié dans la Revue des affaires n°6
La finance du bonheur a pour but de lier la finance, en tant que pratique et en tant que science, avec la science du bonheur, car la science du bonheur peut rendre la finance plus performante et la finance peut améliorer durablement le bonheur de chacun.
Cette nouvelle science du bonheur appliquée à la finance se distingue de l’économie du bonheur par des thèmes propres comme l’optimisation de la performance financière de l’entreprise grâce au bonheur de ses employés ; l’inclusion systématique du bonheur des employés dans les décisions financières de la firme ; la réduction du risque financier du développement-produit par le développement de biens et services qui favorisent le bonheur des consommateurs ; les start-up du bonheur ; la création de fonds d’investissement bâtis sur les résultats de la science du bonheur ; l’optimisation de la relation entre dépenses publique et influence des politiques publiques sur le bonheur des citoyens ; le partage du risque et du rendement dans la construction d’une société, d’un pays plus heureux. La liste n’est pas exhaustive.
Avant de faire quelques développements sur certains de ces thèmes, quelques mots pour définir ce qu’est le bonheur, comment le mesurer et pourquoi une approche par le bonheur ouvre sur un monde meilleur, une société plus harmonieuse.
Quelques bases de la psychologie du bonheur
Le bonheur est le degré selon lequel une personne juge de manière globale la qualité de sa propre vie. Il a deux composantes : une composante affective et une composante cognitive. La composante affective est le rapport entre les affects positifs et les affects négatifs, affect étant un concept ombrelle qui regroupe à la fois les émotions et les humeurs. La composante cognitive est le rapport entre ce que l’on souhaite de la vie et ce que l’on a. La composante affective est plus importante que la composante cognitive(1). Lorsque l’on s’intéresse plus profondément à la manière dont notre cerveau nous dit à quel point nous sommes heureux ou pas, on s’aperçoit que ce que l’on appelle bonheur est en fait le bonheur tel qu’on s’en souvient. Notre mémoire, très imparfaite, ne nous permet pas d’évaluer le bonheur tel qu’on l’a vécu(2).
Par ailleurs, bien que cela puisse paraître étrange à certains, le bonheur se mesure. D’ailleurs, tout phénomène psychologique se mesure. La psychologie a une branche dédiée à cela : la psychométrie. Le fait de pouvoir mesurer le bonheur est essentiel dans la perspective d’une finance du bonheur, car la finance est elle-même essentiellement mathématique(3).
Si je pense qu’il est important de s’intéresser au bonheur, c’est parce que le bonheur a une valeur politique : il est un repère pour construire une société plus harmonieuse ou moins disharmonieuse, selon le regard que l’on porte. Au niveau individuel, nous préférons être heureux que malheureux et, si vous avez des enfants, vous préférez très vraisemblablement qu’ils soient heureux. Au niveau social, le bonheur est le meilleur marqueur d’une société qui fonctionne bien ainsi qu’une cause et une conséquence des comportements pro-sociaux. Bref, pas d’harmonie sociale sans un haut niveau de bonheur largement réparti dans l’ensemble de la population(4).
Optimiser la performance financière de l’entreprise par le bonheur au travail des employés
Parmi les thèmes d’une finance du bonheur, il y a celui du bonheur au travail en relation avec la performance financière de la firme. C’est un thème à la mode, mais qui est généralement mal maîtrisé par les consultants qui vendent des services en ce domaine. Les exemples inspirants sont une approche douteuse car il est facile de trouver également des entreprises où il y a beaucoup de souffrance au travail, et qui sont devenues de grandes multinationales et qui ont de très bons résultats financiers pour autant.
Cependant, en s’accrochant à la fine pointe de la recherche, il est possible de faire des choses intéressantes, des choses qui peuvent aller jusqu’à l’optimisation de la performance financière de l’entreprise par le bonheur au travail des employés.
Les start-up du bonheur
La science du bonheur peut également être utilisée pour développer des produits qui favorisent le bonheur de leurs utilisateurs. On sait par exemple que pour être un peu plus heureux, il vaut mieux acheter des expériences que des produits matériels (5).
Si toute entreprise peut s’inscrire dans une telle démarche, elle peut être plus particulièrement le fait de start-up. Une start-up du bonheur est une start-up dont le développement de produit se fonde partiellement ou totalement sur la recherche sur le bonheur. Il peut y avoir deux buts à cette démarche : un but financier, réduire le risque, et un but social, favoriser le bonheur des clients. Il convient cependant de garder en tête que le fait d’élaborer un produit qui favorise le bonheur de son utilisateur est loin d’être le facteur principal pour réussir le développement d’une start-up. En outre, les clients potentiels ne savent généralement pas bien utiliser leur argent pour être plus heureux. C’est une des raisons qui explique pourquoi les personnes riches sont moins heureuses qu’elles le pourraient malgré leur richesse matérielle.
Au passage, si vous ne le faites pas déjà, je vous encourage à donner tous les mois 5 euros à une association qui essaie d’améliorer la vie d’autres personnes. Penser à ces 5 euros vous permettra de vivre des émotions positives et vous donnera un sentiment de richesse matérielle car vous aurez le sentiment d’être au-dessus du besoin au point de pouvoir donner pour les autres. Vous pouvez donner plus, mais cela n’aura pas forcément une influence plus forte en termes de bonheur, même si c’est plus éthique lorsqu’une personne a des revenus qui le permettent(6).
Des fonds d’investissements bâtis sur la science du bonheur
Dans mon livre « La finance du bonheur », je développe l’idée de fonds d’investissements basés sur les recherches sur le bonheur. Du point de vue de l’investisseur qui ferait confiance à un tel fonds, il s’agit de lui garantir au-delà des objectifs de performance financière que les entreprises, voire les Etats, dans lesquels un tel fonds investit ont un impact positif réel sur le bonheur des consommateurs et des citoyens.
De fait, de tels fonds sont des nouvelles formes de fonds d’investissement socialement responsable, car ils prendraient en compte un critère extra-financier qui a une dimension sociale.
Comme de tels fonds n’existent pas encore (à ma connaissance), il n’est pas possible de dire s’ils seraient plus performants que des fonds traditionnels. Cependant, la science du bonheur pourrait apporter plusieurs bénéfices comme un avantage compétitif pour les entreprises qui utilisent cette science dans leur fonctionnement et dans le développement de leur produit. Par ailleurs, les fonds d’investissements qui prennent en compte le degré de responsabilité sociale des entreprises tendent à avoir des performances similaires, voire légèrement supérieures aux fonds traditionnels. Donc les coûts de screening et la moindre diversification possible ne semblent pas être des problèmes en termes de performance (7).
Comment partager risque et rendement pour construire une société plus heureuse ?
Risque et rendement sont deux concepts centraux de la finance. « Le risque correspond à une incertitude « qui nous concerne », car elle est susceptible d’affecter notre richesse »(8). « Le rendement, ou plus précisément le taux de rendement, est la mesure – correcte – de ce qui a été gagné en détenant un titre pendant une période donnée. »(9). L’investisseur prend un risque financier par rapport à celui qui n’investit pas. Or, c’est parce qu’il y a de l’investissement, en particulier de l’investissement privé, qu’il y a des gains de productivité et de la croissance économique.
Parallèlement, en ce qui concerne la relation entre bonheur et argent, il y a deux faits à mettre en valeur. D’abord, l’argent a un effet tampon face à certaines situations négatives. Ensuite, à partir d’un certain seuil qui dépend de chacun, l’abondance en temps est préférable à l’abondance en richesse pour être plus heureux(10).
Ces points sont importants car la croissance économique générée aujourd’hui par les prises de risques des investisseurs est une croissance économique pro-riche : l’essentiel du surcroît de richesse va aux plus riches(11). En conséquence, cette croissance va à l’encontre d’une augmentation du niveau de bonheur au sein de la société. En effet, l’augmentation de la productivité peut être utilisée soit pour élever le niveau de vie (on parle alors de croissance économique), soit pour réduire le temps de travail, soit les deux. Historiquement, l’augmentation de la productivité a permis à la fois d’améliorer le niveau de vie et de diminuer le temps de travail(12). Dit autrement, contrairement à ce que certains croient, nous travaillons moins pour gagner plus.
Aujourd’hui, l’augmentation de la productivité n’est plus utilisée pour réduire légalement le temps de travail et elle permet essentiellement d’augmenter le niveau de vie des plus riches. En conséquence, parce que le surcroît de richesse créée va d’abord à ceux qui en ont le moins besoin, l’augmentation de la productivité ne favorise ni l’abondance en temps par la réduction légale du temps de travail ni le fait d’utiliser l’augmentation de richesse comme une protection lors des événements difficiles pour ceux qui en ont le plus besoin. Dit autrement, une croissance pro-riche réduit le bonheur potentiel des classes populaires et des classes moyennes sans forcément d’ailleurs augmenter celui des personnes les plus riches. Une solution à ce problème pourrait être de mieux partager le risque, car réduire le risque de ceux qui prennent des risques permet d’avoir davantage de légitimité à capter une part plus grande de leur rendement quand leur prise de risque réussit. Dit autrement, pour élever les impôts des personnes et des institutions qui prennent des risques, il convient de davantage les soutenir dans la prise de risque et dans le cas où la prise de risque échoue.
Un des moyens pourrait être le revenu inconditionnel de base, qui a le vent en poupe à la fois chez les entrepreneurs de la Silicon Valley et auprès d'une partie de la gauche française. Ce revenu permet de garantir une sécurité à tous sans discrimination de richesse et ainsi de prendre plus facilement un risque entrepreneurial. En outre, comme un revenu minimal est assuré, il est plus facilement possible de prendre des emplois à temps partiel afin d’avoir davantage de temps pour soi et de partager de fait le temps de travail.
Parmi les justifications éthiques du revenu de base, l'on trouve la propension croissante à privilégier le temps long en économie. Nous ne sommes pas passés de l'Age de pierre au téléphone portable sans investissement de long terme. Si Elon Musk peut créer les voitures électriques Tesla, c’est justement parce qu’il y a eu des personnes avant comme Nikola Tesla pour faire avancer l’humanité. En permettant à chacun de recevoir un minimum pour vivre, le revenu inconditionnel de base reconnaît que le niveau de richesse actuel dépend en fait aussi des efforts d'investissement consentis par le passé.
Au-delà de la finance du bonheur
Si la finance du bonheur peut aider à construire une société plus heureuse et donc plus harmonieuse, moins disharmonieuse, en incluant la finance dans une métrique aussi puissante que l’argent, celle du bonheur, son influence en tant que science et en tant que pratique ne se réduit qu’à la sphère de l’argent. Or, il existe beaucoup de problèmes dans lesquels l’argent ne joue aucun rôle ou joue un rôle très mineur. La finance du bonheur ne pourra avoir de prise sur de tels problèmes, des problèmes qu’il est préférable de prendre en considération dans le cadre plus général des politiques du bonheur, qui sont des politiques publiques centrées sur la dimension politique du ressenti des citoyens.
(1) Veenhoven, R. (2015). Concept of happiness. World Database of Happiness, Université Erasme de Rotterdam
http://worlddatabaseofhappiness.eur.nl/hap_quer/hqi_fp.htm
(2) Kahneman, D. (1999). Objective Happiness. In Well-Being: Foundations of Hedonic Psychology. Russell Sage Foundation
(3) Gaucher, R. (2015). La finance du bonheur. Adalta
(4) Gaucher, R. (2012). Bonheur et politiques publiques. Une approche scientifique et un bout de programme pour l’élection présidentielle. L’Harmattan
(5) Dunn, E. et Norton, M. (2013). Happy Money. The New Science of Smarter Spending. Oneworld Publications
(6) Ibidem
(7) Revelli, C. (2010). La performance financière de l’investissement socialement responsable (ISR) : approche méta-analytique. Thèse de doctorat. Montpellier 1
(8) Bodie, Z. et Merton, R. (2011). Finance. Pearson Education
La finance du bonheur a pour but de lier la finance, en tant que pratique et en tant que science, avec la science du bonheur, car la science du bonheur peut rendre la finance plus performante et la finance peut améliorer durablement le bonheur de chacun.
Cette nouvelle science du bonheur appliquée à la finance se distingue de l’économie du bonheur par des thèmes propres comme l’optimisation de la performance financière de l’entreprise grâce au bonheur de ses employés ; l’inclusion systématique du bonheur des employés dans les décisions financières de la firme ; la réduction du risque financier du développement-produit par le développement de biens et services qui favorisent le bonheur des consommateurs ; les start-up du bonheur ; la création de fonds d’investissement bâtis sur les résultats de la science du bonheur ; l’optimisation de la relation entre dépenses publique et influence des politiques publiques sur le bonheur des citoyens ; le partage du risque et du rendement dans la construction d’une société, d’un pays plus heureux. La liste n’est pas exhaustive.
Avant de faire quelques développements sur certains de ces thèmes, quelques mots pour définir ce qu’est le bonheur, comment le mesurer et pourquoi une approche par le bonheur ouvre sur un monde meilleur, une société plus harmonieuse.
Quelques bases de la psychologie du bonheur
Le bonheur est le degré selon lequel une personne juge de manière globale la qualité de sa propre vie. Il a deux composantes : une composante affective et une composante cognitive. La composante affective est le rapport entre les affects positifs et les affects négatifs, affect étant un concept ombrelle qui regroupe à la fois les émotions et les humeurs. La composante cognitive est le rapport entre ce que l’on souhaite de la vie et ce que l’on a. La composante affective est plus importante que la composante cognitive(1). Lorsque l’on s’intéresse plus profondément à la manière dont notre cerveau nous dit à quel point nous sommes heureux ou pas, on s’aperçoit que ce que l’on appelle bonheur est en fait le bonheur tel qu’on s’en souvient. Notre mémoire, très imparfaite, ne nous permet pas d’évaluer le bonheur tel qu’on l’a vécu(2).
Par ailleurs, bien que cela puisse paraître étrange à certains, le bonheur se mesure. D’ailleurs, tout phénomène psychologique se mesure. La psychologie a une branche dédiée à cela : la psychométrie. Le fait de pouvoir mesurer le bonheur est essentiel dans la perspective d’une finance du bonheur, car la finance est elle-même essentiellement mathématique(3).
Si je pense qu’il est important de s’intéresser au bonheur, c’est parce que le bonheur a une valeur politique : il est un repère pour construire une société plus harmonieuse ou moins disharmonieuse, selon le regard que l’on porte. Au niveau individuel, nous préférons être heureux que malheureux et, si vous avez des enfants, vous préférez très vraisemblablement qu’ils soient heureux. Au niveau social, le bonheur est le meilleur marqueur d’une société qui fonctionne bien ainsi qu’une cause et une conséquence des comportements pro-sociaux. Bref, pas d’harmonie sociale sans un haut niveau de bonheur largement réparti dans l’ensemble de la population(4).
Optimiser la performance financière de l’entreprise par le bonheur au travail des employés
Parmi les thèmes d’une finance du bonheur, il y a celui du bonheur au travail en relation avec la performance financière de la firme. C’est un thème à la mode, mais qui est généralement mal maîtrisé par les consultants qui vendent des services en ce domaine. Les exemples inspirants sont une approche douteuse car il est facile de trouver également des entreprises où il y a beaucoup de souffrance au travail, et qui sont devenues de grandes multinationales et qui ont de très bons résultats financiers pour autant.
Cependant, en s’accrochant à la fine pointe de la recherche, il est possible de faire des choses intéressantes, des choses qui peuvent aller jusqu’à l’optimisation de la performance financière de l’entreprise par le bonheur au travail des employés.
Les start-up du bonheur
La science du bonheur peut également être utilisée pour développer des produits qui favorisent le bonheur de leurs utilisateurs. On sait par exemple que pour être un peu plus heureux, il vaut mieux acheter des expériences que des produits matériels (5).
Si toute entreprise peut s’inscrire dans une telle démarche, elle peut être plus particulièrement le fait de start-up. Une start-up du bonheur est une start-up dont le développement de produit se fonde partiellement ou totalement sur la recherche sur le bonheur. Il peut y avoir deux buts à cette démarche : un but financier, réduire le risque, et un but social, favoriser le bonheur des clients. Il convient cependant de garder en tête que le fait d’élaborer un produit qui favorise le bonheur de son utilisateur est loin d’être le facteur principal pour réussir le développement d’une start-up. En outre, les clients potentiels ne savent généralement pas bien utiliser leur argent pour être plus heureux. C’est une des raisons qui explique pourquoi les personnes riches sont moins heureuses qu’elles le pourraient malgré leur richesse matérielle.
Au passage, si vous ne le faites pas déjà, je vous encourage à donner tous les mois 5 euros à une association qui essaie d’améliorer la vie d’autres personnes. Penser à ces 5 euros vous permettra de vivre des émotions positives et vous donnera un sentiment de richesse matérielle car vous aurez le sentiment d’être au-dessus du besoin au point de pouvoir donner pour les autres. Vous pouvez donner plus, mais cela n’aura pas forcément une influence plus forte en termes de bonheur, même si c’est plus éthique lorsqu’une personne a des revenus qui le permettent(6).
Des fonds d’investissements bâtis sur la science du bonheur
Dans mon livre « La finance du bonheur », je développe l’idée de fonds d’investissements basés sur les recherches sur le bonheur. Du point de vue de l’investisseur qui ferait confiance à un tel fonds, il s’agit de lui garantir au-delà des objectifs de performance financière que les entreprises, voire les Etats, dans lesquels un tel fonds investit ont un impact positif réel sur le bonheur des consommateurs et des citoyens.
De fait, de tels fonds sont des nouvelles formes de fonds d’investissement socialement responsable, car ils prendraient en compte un critère extra-financier qui a une dimension sociale.
Comme de tels fonds n’existent pas encore (à ma connaissance), il n’est pas possible de dire s’ils seraient plus performants que des fonds traditionnels. Cependant, la science du bonheur pourrait apporter plusieurs bénéfices comme un avantage compétitif pour les entreprises qui utilisent cette science dans leur fonctionnement et dans le développement de leur produit. Par ailleurs, les fonds d’investissements qui prennent en compte le degré de responsabilité sociale des entreprises tendent à avoir des performances similaires, voire légèrement supérieures aux fonds traditionnels. Donc les coûts de screening et la moindre diversification possible ne semblent pas être des problèmes en termes de performance (7).
Comment partager risque et rendement pour construire une société plus heureuse ?
Risque et rendement sont deux concepts centraux de la finance. « Le risque correspond à une incertitude « qui nous concerne », car elle est susceptible d’affecter notre richesse »(8). « Le rendement, ou plus précisément le taux de rendement, est la mesure – correcte – de ce qui a été gagné en détenant un titre pendant une période donnée. »(9). L’investisseur prend un risque financier par rapport à celui qui n’investit pas. Or, c’est parce qu’il y a de l’investissement, en particulier de l’investissement privé, qu’il y a des gains de productivité et de la croissance économique.
Parallèlement, en ce qui concerne la relation entre bonheur et argent, il y a deux faits à mettre en valeur. D’abord, l’argent a un effet tampon face à certaines situations négatives. Ensuite, à partir d’un certain seuil qui dépend de chacun, l’abondance en temps est préférable à l’abondance en richesse pour être plus heureux(10).
Ces points sont importants car la croissance économique générée aujourd’hui par les prises de risques des investisseurs est une croissance économique pro-riche : l’essentiel du surcroît de richesse va aux plus riches(11). En conséquence, cette croissance va à l’encontre d’une augmentation du niveau de bonheur au sein de la société. En effet, l’augmentation de la productivité peut être utilisée soit pour élever le niveau de vie (on parle alors de croissance économique), soit pour réduire le temps de travail, soit les deux. Historiquement, l’augmentation de la productivité a permis à la fois d’améliorer le niveau de vie et de diminuer le temps de travail(12). Dit autrement, contrairement à ce que certains croient, nous travaillons moins pour gagner plus.
Aujourd’hui, l’augmentation de la productivité n’est plus utilisée pour réduire légalement le temps de travail et elle permet essentiellement d’augmenter le niveau de vie des plus riches. En conséquence, parce que le surcroît de richesse créée va d’abord à ceux qui en ont le moins besoin, l’augmentation de la productivité ne favorise ni l’abondance en temps par la réduction légale du temps de travail ni le fait d’utiliser l’augmentation de richesse comme une protection lors des événements difficiles pour ceux qui en ont le plus besoin. Dit autrement, une croissance pro-riche réduit le bonheur potentiel des classes populaires et des classes moyennes sans forcément d’ailleurs augmenter celui des personnes les plus riches. Une solution à ce problème pourrait être de mieux partager le risque, car réduire le risque de ceux qui prennent des risques permet d’avoir davantage de légitimité à capter une part plus grande de leur rendement quand leur prise de risque réussit. Dit autrement, pour élever les impôts des personnes et des institutions qui prennent des risques, il convient de davantage les soutenir dans la prise de risque et dans le cas où la prise de risque échoue.
Un des moyens pourrait être le revenu inconditionnel de base, qui a le vent en poupe à la fois chez les entrepreneurs de la Silicon Valley et auprès d'une partie de la gauche française. Ce revenu permet de garantir une sécurité à tous sans discrimination de richesse et ainsi de prendre plus facilement un risque entrepreneurial. En outre, comme un revenu minimal est assuré, il est plus facilement possible de prendre des emplois à temps partiel afin d’avoir davantage de temps pour soi et de partager de fait le temps de travail.
Parmi les justifications éthiques du revenu de base, l'on trouve la propension croissante à privilégier le temps long en économie. Nous ne sommes pas passés de l'Age de pierre au téléphone portable sans investissement de long terme. Si Elon Musk peut créer les voitures électriques Tesla, c’est justement parce qu’il y a eu des personnes avant comme Nikola Tesla pour faire avancer l’humanité. En permettant à chacun de recevoir un minimum pour vivre, le revenu inconditionnel de base reconnaît que le niveau de richesse actuel dépend en fait aussi des efforts d'investissement consentis par le passé.
Au-delà de la finance du bonheur
Si la finance du bonheur peut aider à construire une société plus heureuse et donc plus harmonieuse, moins disharmonieuse, en incluant la finance dans une métrique aussi puissante que l’argent, celle du bonheur, son influence en tant que science et en tant que pratique ne se réduit qu’à la sphère de l’argent. Or, il existe beaucoup de problèmes dans lesquels l’argent ne joue aucun rôle ou joue un rôle très mineur. La finance du bonheur ne pourra avoir de prise sur de tels problèmes, des problèmes qu’il est préférable de prendre en considération dans le cadre plus général des politiques du bonheur, qui sont des politiques publiques centrées sur la dimension politique du ressenti des citoyens.
(1) Veenhoven, R. (2015). Concept of happiness. World Database of Happiness, Université Erasme de Rotterdam
http://worlddatabaseofhappiness.eur.nl/hap_quer/hqi_fp.htm
(2) Kahneman, D. (1999). Objective Happiness. In Well-Being: Foundations of Hedonic Psychology. Russell Sage Foundation
(3) Gaucher, R. (2015). La finance du bonheur. Adalta
(4) Gaucher, R. (2012). Bonheur et politiques publiques. Une approche scientifique et un bout de programme pour l’élection présidentielle. L’Harmattan
(5) Dunn, E. et Norton, M. (2013). Happy Money. The New Science of Smarter Spending. Oneworld Publications
(6) Ibidem
(7) Revelli, C. (2010). La performance financière de l’investissement socialement responsable (ISR) : approche méta-analytique. Thèse de doctorat. Montpellier 1
(8) Bodie, Z. et Merton, R. (2011). Finance. Pearson Education