Le rêve de la révolution de l’information ne serait-il plus qu’aspiration au contrôle de l’information ? On peut sérieusement se poser la question, au vu de l’usage qui est fait aujourd’hui des technologies numériques. Nous dépendons en effet de nos outils électroniques (ordinateurs portables, smartphones, cartes bancaires…) qui génèrent une énorme quantité de données dont une bonne partie est compilée par les entreprises du big data, GAFA ou BATX. En utilisant ces données et tous les liens électroniques vitaux qui s’y rattachent, les autorités en place peuvent désormais surveiller, manipuler et contrôler le comportement de millions de personnes.
Même si la nouvelle technologie s’est révélée jusqu’à présent parfaitement inutile sur le plan de la croissance économique et de prospérité matérielle, elle pourrait bien avoir pour effet de rendre possible de contrôler de gigantesques masses de gens à un coût extrêmement bas.
La révolution de l’information — avec l’introduction d’internet et la prolifération des PC — était censée inaugurer une nouvelle ère de croissance économique. Mais ce ne fut pas le cas, ni pour le PIB, ni pour les salaires, ni pour la productivité. Cette révolution sert surtout à perdre du temps, chacun d’entre nous passant en moyenne cinq heures par jour à regarder son téléphone, dont la moitié sur les réseaux sociaux. Pour autant, cela recèle un outil utile pour le pouvoir.
Une note de "crédit social" en Chine
Les autorités chinoises placées sous la férule de Xi Jinping, président à vie, s’en servent déjà pour surveiller les gens, combinant les ressources du Big Data avec les pratiques de l’État chinois et du parti communiste. Et ça fonctionne. C’est ce que montre un documentaire récent d’ARTE, Le monde selon Xi Jinping (1).
Le système de "crédit social" mis en place en Chine n’en est qu’à ses balbutiements. Il passe par un système de note. Les gens qui n’ont pas de bonnes notes — parce qu’ils ont été pris en train de traverser hors des clous, qu’ils sont en retard sur leurs versements, qu’ils postent de "mauvaises choses" sur internet, ou qu’ils ont des pensées négatives sur l’économie — peuvent se voir refuser l’accès aux trains ou aux avions. On peut leur refuser une carte de crédit ou un prêt (ou bien les forcer à payer des taux plus élevés). Leurs enfants n’accéderont pas aux meilleures écoles et ne seront peut-être pas autorisés à postuler aux meilleurs emplois.
Dans les cas les plus extrêmes, un citoyen peut être entièrement effacé de la société, privée d’accès à l’argent, coupé des moyens de communication et interdit de voyage.
On pourrait penser que le citoyen chinois ordinaire se battrait et résisterait contre cette sorte de contrôle totalitaire. Mais pas du tout. Malgré quelques poches de résistance, les journaux nous disent qu’en majorité les Chinois apprécient (c’est du moins ce qu’ils disent aux journalistes). Ils disent qu’ils sont ravis de se sentir plus en sécurité, les « méchants » étant désormais exclus de toute interaction sociale.
La France, l’Europe et les Etats-Unis ne font pas exception
Or la même chose est en train de se passer en Europe et aux Etats-Unis.
En France, par exemple, la vitesse sur les routes nationales est désormais limitée à 80 km/heure, même si l’on pourrait facilement conduire à 100 km/heure en tout sécurité. Si vous perdez trop de points, c’est votre permis de conduire qui saute… Les Français semblent accepter cela parce qu’ils « se sentent plus en sécurité », ou que cela « réduit les émissions de CO2 ». L’Union européenne souhaite bientôt durcir son dispositif de lutte contre les « contenus à caractère terroriste »…
Les Américains ne font pas exception. Depuis quinze ans, ils font la queue dans les aéroports, enlèvent leur ceinture et leurs chaussures et placent leurs médicaments, crèmes et lotions là où les vigiles peuvent les voir. Chacun de ces millions de voyageurs sait qu’il n’a pas l’intention de faire exploser un avion, mais il se sent « plus en sécurité ». A New York, les premières traces de note de crédit social sont peut-être en train de faire leur apparition. Une loi y serait en préparation qui proposerait ne loi proposant la vérification des réseaux sociaux avant l’achat d’une arme à feu. La proposition d’Eric Adams, président de la municipalité de Brooklyn, et Kevin Palmer, sénateur, permettrait aux autorités de contrôler trois ans d’historique sur les réseaux sociaux et une année de recherches internet pour toute personne souhaitant acheter une arme à feu.
Le rapport Freedom on the Net 2018 sonne l’alerte
Il semblerait donc que les gens abandonnent volontiers leur liberté s’ils ont l’impression d’être plus en sécurité... Et la Chine est en train de nous montrer comment faire.
Les gouvernements du monde entier accélèrent leur utilisation d’outils en ligne, s’inspirant dans de nombreux cas du modèle chinois, pour étouffer la dissidence et resserrer leur mainmise sur le pouvoir, selon l’étude d’un organisme de défense des droits de l’homme, Freedom House. Son rapport Freedom on the Net 2018, portant sur 65 pays, révèle que la liberté sur internet a décliné dans le monde pour la huitième année consécutive, sur fond d’augmentation de ce que le groupe appelle "l’autoritarisme numérique". La propagande et la désinformation en ligne empoisonne de plus en plus l’espace numérique, tandis que la collecte de données personnelles empiète sur la vie privée. « Les démocraties luttent, dans cette ère numérique, tandis que la Chine exporte son modèle de censure et de surveillance pour contrôler l’information tant dans ses frontières qu’à l’extérieur », déclare Michael Abramowitz, président de Freedom House.
Le rapport dénombre dix-sept gouvernements ayant approuvé ou proposé des lois pour restreindre les médias en ligne au nom de la lutte contre les fake news, tandis que dix-huit pays ont augmenté la surveillance ou réduit le chiffrage des données pour mieux surveiller leurs citoyens.
Avec la même logique économique, partout : la réduction des coûts du contrôle social rend l’esclavage profitable, sur un fond de religiosité envers la déesse IA, l’intelligence artificielle, dont le pouvoir ne repose que sur une horde mondialisée de travailleurs précaires, les « travailleurs du clic », qui se réfugient dans le digital labor pour survivre (2)…
(1) https://www.arte.tv/fr/videos/078193-000-A/le-monde-selon-xi-jinping/
(2) https://www.sensemaking.fr/IA-les-travailleurs-du-clic_a334.html
Même si la nouvelle technologie s’est révélée jusqu’à présent parfaitement inutile sur le plan de la croissance économique et de prospérité matérielle, elle pourrait bien avoir pour effet de rendre possible de contrôler de gigantesques masses de gens à un coût extrêmement bas.
La révolution de l’information — avec l’introduction d’internet et la prolifération des PC — était censée inaugurer une nouvelle ère de croissance économique. Mais ce ne fut pas le cas, ni pour le PIB, ni pour les salaires, ni pour la productivité. Cette révolution sert surtout à perdre du temps, chacun d’entre nous passant en moyenne cinq heures par jour à regarder son téléphone, dont la moitié sur les réseaux sociaux. Pour autant, cela recèle un outil utile pour le pouvoir.
Une note de "crédit social" en Chine
Les autorités chinoises placées sous la férule de Xi Jinping, président à vie, s’en servent déjà pour surveiller les gens, combinant les ressources du Big Data avec les pratiques de l’État chinois et du parti communiste. Et ça fonctionne. C’est ce que montre un documentaire récent d’ARTE, Le monde selon Xi Jinping (1).
Le système de "crédit social" mis en place en Chine n’en est qu’à ses balbutiements. Il passe par un système de note. Les gens qui n’ont pas de bonnes notes — parce qu’ils ont été pris en train de traverser hors des clous, qu’ils sont en retard sur leurs versements, qu’ils postent de "mauvaises choses" sur internet, ou qu’ils ont des pensées négatives sur l’économie — peuvent se voir refuser l’accès aux trains ou aux avions. On peut leur refuser une carte de crédit ou un prêt (ou bien les forcer à payer des taux plus élevés). Leurs enfants n’accéderont pas aux meilleures écoles et ne seront peut-être pas autorisés à postuler aux meilleurs emplois.
Dans les cas les plus extrêmes, un citoyen peut être entièrement effacé de la société, privée d’accès à l’argent, coupé des moyens de communication et interdit de voyage.
On pourrait penser que le citoyen chinois ordinaire se battrait et résisterait contre cette sorte de contrôle totalitaire. Mais pas du tout. Malgré quelques poches de résistance, les journaux nous disent qu’en majorité les Chinois apprécient (c’est du moins ce qu’ils disent aux journalistes). Ils disent qu’ils sont ravis de se sentir plus en sécurité, les « méchants » étant désormais exclus de toute interaction sociale.
La France, l’Europe et les Etats-Unis ne font pas exception
Or la même chose est en train de se passer en Europe et aux Etats-Unis.
En France, par exemple, la vitesse sur les routes nationales est désormais limitée à 80 km/heure, même si l’on pourrait facilement conduire à 100 km/heure en tout sécurité. Si vous perdez trop de points, c’est votre permis de conduire qui saute… Les Français semblent accepter cela parce qu’ils « se sentent plus en sécurité », ou que cela « réduit les émissions de CO2 ». L’Union européenne souhaite bientôt durcir son dispositif de lutte contre les « contenus à caractère terroriste »…
Les Américains ne font pas exception. Depuis quinze ans, ils font la queue dans les aéroports, enlèvent leur ceinture et leurs chaussures et placent leurs médicaments, crèmes et lotions là où les vigiles peuvent les voir. Chacun de ces millions de voyageurs sait qu’il n’a pas l’intention de faire exploser un avion, mais il se sent « plus en sécurité ». A New York, les premières traces de note de crédit social sont peut-être en train de faire leur apparition. Une loi y serait en préparation qui proposerait ne loi proposant la vérification des réseaux sociaux avant l’achat d’une arme à feu. La proposition d’Eric Adams, président de la municipalité de Brooklyn, et Kevin Palmer, sénateur, permettrait aux autorités de contrôler trois ans d’historique sur les réseaux sociaux et une année de recherches internet pour toute personne souhaitant acheter une arme à feu.
Le rapport Freedom on the Net 2018 sonne l’alerte
Il semblerait donc que les gens abandonnent volontiers leur liberté s’ils ont l’impression d’être plus en sécurité... Et la Chine est en train de nous montrer comment faire.
Les gouvernements du monde entier accélèrent leur utilisation d’outils en ligne, s’inspirant dans de nombreux cas du modèle chinois, pour étouffer la dissidence et resserrer leur mainmise sur le pouvoir, selon l’étude d’un organisme de défense des droits de l’homme, Freedom House. Son rapport Freedom on the Net 2018, portant sur 65 pays, révèle que la liberté sur internet a décliné dans le monde pour la huitième année consécutive, sur fond d’augmentation de ce que le groupe appelle "l’autoritarisme numérique". La propagande et la désinformation en ligne empoisonne de plus en plus l’espace numérique, tandis que la collecte de données personnelles empiète sur la vie privée. « Les démocraties luttent, dans cette ère numérique, tandis que la Chine exporte son modèle de censure et de surveillance pour contrôler l’information tant dans ses frontières qu’à l’extérieur », déclare Michael Abramowitz, président de Freedom House.
Le rapport dénombre dix-sept gouvernements ayant approuvé ou proposé des lois pour restreindre les médias en ligne au nom de la lutte contre les fake news, tandis que dix-huit pays ont augmenté la surveillance ou réduit le chiffrage des données pour mieux surveiller leurs citoyens.
Avec la même logique économique, partout : la réduction des coûts du contrôle social rend l’esclavage profitable, sur un fond de religiosité envers la déesse IA, l’intelligence artificielle, dont le pouvoir ne repose que sur une horde mondialisée de travailleurs précaires, les « travailleurs du clic », qui se réfugient dans le digital labor pour survivre (2)…
(1) https://www.arte.tv/fr/videos/078193-000-A/le-monde-selon-xi-jinping/
(2) https://www.sensemaking.fr/IA-les-travailleurs-du-clic_a334.html