Entretien avec Mickaël Mangot publié dans la revue des affaires n°6
Pourquoi la discipline économique s'intéresse-t-elle à la question du bonheur ?
Elle ne s’y est pas toujours intéressée. Jusque dans les années 1970, le bonheur n’était pas un sujet d’étude pour les économistes. Le bonheur n’étant pas objectif et observable de l’extérieur, les économistes lui préféraient le concept d’ « utilité » qu’ils inféraient des choix des individus considérés comme rationnels. L’individu était censé, selon les modèles économiques classiques, prendre des décisions qui maximisent son utilité personnelle, laquelle inclut le bonheur mais aussi tout le reste (la gloire, la fortune, le bien-être de ses proches, l’impact social, le respect des préceptes religieux…). Ce n’est qu’à partir des années 1970 que des économistes iconoclastes se sont mis à regarder les données subjectives sur le bonheur tirées des enquêtes, en considérant qu’elles n’étaient pas complètement sans valeur. Puis ils ont connecté ces données subjectives avec des données économiques objectives sur les individus : leurs niveaux de revenu, leur consommation, leur situation professionnelle, etc.
Qu'en concluez-vous, l'accroissement de richesse rend-il plus heureux les individus ?
La relation entre argent et bonheur est paradoxale. Oui, les riches sont en général plus heureux que les autres (mais beaucoup moins qu’on le pense !). Et les pays riches affichent un bonheur moyen plus élevé que les pays en développement. Néanmoins, quand on suit le bonheur dans le temps au sein des pays développés, on ne voit plus d’amélioration évidente depuis plusieurs décennies.
Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Il y a plusieurs explications. D’une part, il y a des phénomènes psychologiques relatifs à la perception qui font que les accroissements de revenus ont un effet seulement transitoire sur le bonheur. On s’adapte aux hausses de revenus et on observe son revenu par rapport à ses proches. Quand tout le monde s’enrichit, le développement économique est moins jubilatoire pour chacun. Et dans les pays riches, les individus ont maintenant des aspirations qui ne sont plus facilement achetables par l’argent, par exemple la réalisation de soi. Beaucoup d’habitants des pays riches regardent le haut de la pyramide de Maslow et gagner plus d’argent ne les aidera pas beaucoup dans leur quête. Enfin, le développement économique s’est sans doute accompagné de la dégradation d’éléments importants pour le bonheur (l’environnement, le capital social, la sensation d’avoir du temps libre…).
Vous distinguez plusieurs définitions du bonheur, entre satisfaction de la vie et bien-être émotionnel par exemple, quelle différence faites-vous ?
La satisfaction de la vie est un indicateur cognitif du bonheur. On pense à froid à sa vie sur les derniers mois et on lui donne une note. Il s’agit d’une mesure rétrospective du bonheur de moyen terme. Le bien-être émotionnel, c’est la différence entre les émotions positives et les émotions négatives ressenties dans une journée-type. C’est un indicateur qui relève de la sphère affective et davantage ancré dans le présent. On a pu observer que l’argent était un déterminant plus important de la satisfaction de la vie que du bien-être émotionnel. L’argent est plus important quand on pense à sa vie a posteriori que lorsqu’on la vit en temps réel !
Si l'argent ne fait pas complètement le bonheur, n'y a-t-il pas une manière de consommer qui rendrait plus heureux qu'une autre ?
Si la plupart des consommations ont un effet seulement modeste et temporaire sur le bonheur, il y en a quelques-unes qui laissent une trace plus durable. C’est le cas des expériences (plutôt que les biens matériels), des consommations à plusieurs (plutôt qu’en solo) et des cadeaux que l’on fait aux autres.
Vous expliquez que le bonheur se construit également par rapport aux autres, le malheur des uns fait donc le bonheur des autres ?
Il y a effectivement des mécanismes de comparaison sociale à l’œuvre lorsqu’on évalue sa propre situation économique. A revenus constants, on est plus satisfait de ses revenus lorsqu’ils sont supérieurs à ceux de nos proches (conjoints, voisins…). A salaire constant, les salariés sont plus satisfaits de leur salaire lorsqu’il est supérieur à celui de leurs collègues de bureau. Et, si le chômage a un impact très négatif sur le bonheur, les chômeurs vivent beaucoup mieux leur sort quand certains de leurs proches sont aussi sans emploi et lorsque le taux de chômage dans la population est élevé.
Un individu heureux crée-t-il plus de richesse ?
Oui, toutes choses égales par ailleurs, un individu heureux (ou seulement satisfait de son travail) est en moyenne plus productif, plus créatif, plus assidu et a de meilleures relations avec les autres, ce qui a aussi une incidence positive sur la productivité collective. Donc les entreprises gagneraient à avoir des salariés heureux. Pour autant, la quête du bonheur peut aussi nourrir des comportements qui ne sont pas favorables à la productivité (par exemple quitter une grande entreprise pour se mettre à son compte). Ces derniers temps, j’entends beaucoup de consultants RH présenter le bonheur et l’efficacité économique comme allant de pair. Or, c’est un peu plus complexe que ça…
Pourquoi la discipline économique s'intéresse-t-elle à la question du bonheur ?
Elle ne s’y est pas toujours intéressée. Jusque dans les années 1970, le bonheur n’était pas un sujet d’étude pour les économistes. Le bonheur n’étant pas objectif et observable de l’extérieur, les économistes lui préféraient le concept d’ « utilité » qu’ils inféraient des choix des individus considérés comme rationnels. L’individu était censé, selon les modèles économiques classiques, prendre des décisions qui maximisent son utilité personnelle, laquelle inclut le bonheur mais aussi tout le reste (la gloire, la fortune, le bien-être de ses proches, l’impact social, le respect des préceptes religieux…). Ce n’est qu’à partir des années 1970 que des économistes iconoclastes se sont mis à regarder les données subjectives sur le bonheur tirées des enquêtes, en considérant qu’elles n’étaient pas complètement sans valeur. Puis ils ont connecté ces données subjectives avec des données économiques objectives sur les individus : leurs niveaux de revenu, leur consommation, leur situation professionnelle, etc.
Qu'en concluez-vous, l'accroissement de richesse rend-il plus heureux les individus ?
La relation entre argent et bonheur est paradoxale. Oui, les riches sont en général plus heureux que les autres (mais beaucoup moins qu’on le pense !). Et les pays riches affichent un bonheur moyen plus élevé que les pays en développement. Néanmoins, quand on suit le bonheur dans le temps au sein des pays développés, on ne voit plus d’amélioration évidente depuis plusieurs décennies.
Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Il y a plusieurs explications. D’une part, il y a des phénomènes psychologiques relatifs à la perception qui font que les accroissements de revenus ont un effet seulement transitoire sur le bonheur. On s’adapte aux hausses de revenus et on observe son revenu par rapport à ses proches. Quand tout le monde s’enrichit, le développement économique est moins jubilatoire pour chacun. Et dans les pays riches, les individus ont maintenant des aspirations qui ne sont plus facilement achetables par l’argent, par exemple la réalisation de soi. Beaucoup d’habitants des pays riches regardent le haut de la pyramide de Maslow et gagner plus d’argent ne les aidera pas beaucoup dans leur quête. Enfin, le développement économique s’est sans doute accompagné de la dégradation d’éléments importants pour le bonheur (l’environnement, le capital social, la sensation d’avoir du temps libre…).
Vous distinguez plusieurs définitions du bonheur, entre satisfaction de la vie et bien-être émotionnel par exemple, quelle différence faites-vous ?
La satisfaction de la vie est un indicateur cognitif du bonheur. On pense à froid à sa vie sur les derniers mois et on lui donne une note. Il s’agit d’une mesure rétrospective du bonheur de moyen terme. Le bien-être émotionnel, c’est la différence entre les émotions positives et les émotions négatives ressenties dans une journée-type. C’est un indicateur qui relève de la sphère affective et davantage ancré dans le présent. On a pu observer que l’argent était un déterminant plus important de la satisfaction de la vie que du bien-être émotionnel. L’argent est plus important quand on pense à sa vie a posteriori que lorsqu’on la vit en temps réel !
Si l'argent ne fait pas complètement le bonheur, n'y a-t-il pas une manière de consommer qui rendrait plus heureux qu'une autre ?
Si la plupart des consommations ont un effet seulement modeste et temporaire sur le bonheur, il y en a quelques-unes qui laissent une trace plus durable. C’est le cas des expériences (plutôt que les biens matériels), des consommations à plusieurs (plutôt qu’en solo) et des cadeaux que l’on fait aux autres.
Vous expliquez que le bonheur se construit également par rapport aux autres, le malheur des uns fait donc le bonheur des autres ?
Il y a effectivement des mécanismes de comparaison sociale à l’œuvre lorsqu’on évalue sa propre situation économique. A revenus constants, on est plus satisfait de ses revenus lorsqu’ils sont supérieurs à ceux de nos proches (conjoints, voisins…). A salaire constant, les salariés sont plus satisfaits de leur salaire lorsqu’il est supérieur à celui de leurs collègues de bureau. Et, si le chômage a un impact très négatif sur le bonheur, les chômeurs vivent beaucoup mieux leur sort quand certains de leurs proches sont aussi sans emploi et lorsque le taux de chômage dans la population est élevé.
Un individu heureux crée-t-il plus de richesse ?
Oui, toutes choses égales par ailleurs, un individu heureux (ou seulement satisfait de son travail) est en moyenne plus productif, plus créatif, plus assidu et a de meilleures relations avec les autres, ce qui a aussi une incidence positive sur la productivité collective. Donc les entreprises gagneraient à avoir des salariés heureux. Pour autant, la quête du bonheur peut aussi nourrir des comportements qui ne sont pas favorables à la productivité (par exemple quitter une grande entreprise pour se mettre à son compte). Ces derniers temps, j’entends beaucoup de consultants RH présenter le bonheur et l’efficacité économique comme allant de pair. Or, c’est un peu plus complexe que ça…