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Gérard Taponat : " Le bon climat social et la régulation des rapports sociaux sont une question de choix politique d’entreprise avant d’être celle d’une institution du politique"


La Rédaction
Jeudi 23 Juin 2016



Il est asséné, revendiqué, réclamé. Le dialogue social est au coeur des débats actuels. En théorie, car dans les faits, les blocages persistent jusqu'à créer les situations explosives de ces dernières semaines. Que faire ? Comment renouer le dialogue et installer une communication sereine et pérenne ? Nous avons posé nos questions à Gérard Taponat, auteur avec Philippine Arnal Roux, de "Dialogue social. Former et développer les compétences des acteurs", paru aux éditions De Boeck Supérieur. Rencontre.



Gérard Taponat
Gérard Taponat

Avec les débats sur la loi Travail, le dialogue social est aujourd’hui sur toutes les lèvres. Qu’entend-t-on réellement par « dialogue social »?

Le dialogue social correspond essentiellement en la capacité des acteurs à converser, échanger, confronter et convenir de dispositions politiques et sociales qui permettent une juste répartition des efforts et des fruits de l’activité économique. Ce dialogue reposant sur une forme de légitimité (élective ou désignative) des acteurs, comme sur leur responsabilité s’agissant de l’intérêt général de leur entreprise leur Branche ou leur pays.

Comment expliquez-vous les blocages actuels et quels sont selon vous, les leviers d’une sortie de crise?

Les blocages et les tensions extrêmes actuelles ont plusieurs sources. La première – et non des moindres – est le projet politique proposé aux parties prenantes du dialogue, qui n’a pas fait partie d’un exposé au moment des choix politiques et électoraux. Il est toujours difficile d’exhiber tardivement un projet qui modifie les règles du jeu et qui sort ainsi « du chapeau ».

La seconde raison, repose sur une méconnaissance du terrain réel du dialogue social de terrain des entreprises françaises où le primat du texte de loi n’est plus en adéquation avec la réalité objective des situations professionnelles. Je vois également une troisième raison, qui est celle de la méthode de négociation du Gouvernement , que l’on citera dans les prochaines années comme l’exemple à éviter. Une méthode qui vient après beaucoup d’initiatives à géométrie variable (CICE ; Formation professionnelle ….) et dans une approche de plus en plus corporatiste. La sortie de crise : revoir le sujet dans d’autres conditions car les crises qui auront marqué son élaboration, formeront toujours des handicaps à sa réception et à son déploiement.

 

Les petites, voire les très petites entreprises, et les grandes sociétés n’ont pas les mêmes outils en matière de dialogue social. Selon vous, la situation est-elle équitable ?

Non la situation ne l’est pas du tout. D’un côté les grandes entreprises ont trouvé, peu ou prou, un mode opératoire correspondant à leurs structures et à leurs besoins.  Elles ont, en outre, toute une histoire interne de leurs rapports sociaux qui donnent des repères. D’un autre, le monde politique veut imposer aux PME, un modèle de dialogue social équivalent aux grands groupes avec les mêmes modalités, tout en créant de toute pièce des systèmes de mandatements sociaux qui ne sont pas représentatifs des corps sociaux concernés.
 

Le dialogue social passe-t-il nécessairement par les syndicats et les organisations patronales ou un fonctionnement plus transversal est-il possible / souhaitable?

Le dialogue social institutionnel passe par les instances et organisations que nous connaissons tous dans l’entreprise. Mais le premier dialogue social repose sur la relation sociale entre les salariés, leur encadrement et leur Direction. Le premier, s’inscrivant dans l’existant. Le bon climat social et la régulation des rapports sociaux sont une question de choix politique d’entreprise avant d’être celle d’une institution du politique. On peut rechercher le « dialogue social »,  on peut le construire. On ne peut nullement le décréter car dans ce domaine les acres précèdent souvent les concepts.
 

cc Pixabay
cc Pixabay

Conflit, bras de fer, bataille… le champ lexical le plus souvent utilisé pour parler du dialogue social en France est assez belliqueux. Pourquoi lit-on souvent la situation comme un rapport de force féroce et non comme un échange constructif pour les parties prenantes ?

Cette particularité française est essentiellement liée à l’histoire des rapports sociaux hexagonaux : eux-mêmes résultant de luttes, et non d’une convenance. Cependant les évènements actuels nous donnent une indication plus inquiétante pour nos rapports sociaux : celle de l’absence d’un projet politique capable de redéfinir un pacte socio-économique, comme celui qui a prévalu après le second conflit mondial. Avec ce manque « d’intelligence sociale » : on assiste à la perte et du courage ; et de la responsabilité. En matière socio-économique : les français découvrent que la liberté, l’égalité et la fraternité sont complètement désavouées. Le « social » n’est que le révélateur du malaise dans notre démocratie française.
 

Est-ce à dire que la culture du dialogue sociale est-elle encore insuffisante en France, notamment par rapport à l’Allemagne, pays souvent érigé comme modèle ?

Il n’existe pas « une » culture du dialogue social, mais des « cultures » qui résultent d’une histoire propre à chaque pays. Je ne crois pas à un « modèle allemand » pour différentes raisons que je n’ai pas le temps d’expliquer ici. Il ne faut pas vouloir s’identifier à telle ou telle culture, mais comprendre les ressorts de chacune d’entre elles pour atteindre le meilleur d’elles-mêmes. L’Etat, le pouvoir politique, fixant le cadre général et les conditions propices à son épanouissement : dans les règles héritées de l’histoire de chaque pays. Dans ce domaine, au coeur de notre crise sociale française : le contre-exemple de la récente négociation au sein de la SNCF – faisant fi des rapports sociaux et institutionnels internes – par les représentants de l’Etat, ajoute encore à la confusion du rôle des acteurs en charge du dialogue social : mais aussi de leur mission.
 

Quelles pistes concrètes propose votre ouvrage « Dialogue social. Former et développer les compétences des acteurs » afin de développer cette culture ?

L’ouvrage est explicite, parce qu’il repose d’abord sur mon expérience concrète de 30 ans de dialogue social de terrain, dans différents milieux professionnels ; dans des situations multiples et complexes autour de cette question. L’ouvrage a cela d’original et d’avant-garde : c’est la structuration de la formation des acteurs, ainsi que la reconnaissance des compétences nécessaires à un dialogue qualitatif et enrichissant. On en parle beaucoup en France ; on lit des rapports savants sur la question. Là on est devant un déploiement pratique et concret ! Le livre propose des formations qualifiantes et des mises en situations concrètes que l’on analyse et que l’on valide. Le livre donne des pistes pour « penser » le social, et non pas le négliger ou le subir.
 
Manifestations contre la loi travail à Marseille cc Wkimedia commons
Manifestations contre la loi travail à Marseille cc Wkimedia commons

Le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a rendu le 1er juin son projet d'avis sur «le développement de la culture du dialogue social en France. Les auteurs avancent notamment l'idée d'intégrer dans les missions du service public de l'audiovisuel l'organisation d'émissions d'analyse et de débats permettant aux partenaires sociaux de s'exprimer sur l'actualité sociale et ses enjeux. Qu’en pensez-vous ?

Je reste toujours étonné des rapports et des avis – y compris ceux émanant de la représentation institutionnelle – dans les préconisations : tant celles-ci me paraissent périphériques au cœur du sujet, comme celle que vous citez. La culture du dialogue en France, c’est déjà de lui donner une voie d’équilibre entre les impératifs économiques et sociaux de chaque entreprise ; un champ où il y a du « grain à moudre » avec des sujets qui ont trait à notre compétitivité et notre employabilité ; une mise en responsabilité des acteurs et des organisations…. Allons au cœur du sujet et arrêtons de tourner autour avec des  « mesurettes » !
 

Gérard Taponat, vous êtes responsable du master Négociations et Relations sociales à Paris Dauphine. Quel est l’objectif de ce cursus innovant, le premier entièrement consacré à l’animation des relations sociales et à la négociation, et à quels enjeux répond-t-il ?

Ce Master Négociations et Relations Sociales participe de cette politique du dialogue social, de cet esprit des relations et des modalités dont le livre se fait l’écho. C’est le projet de réunir ensemble, les acteurs du dialogue social : la rencontre avant de se dire « contre ». La deuxième dimension de ce projet, est le pari d’une intelligence commune sur des sujets et projets de défis. La dernière dimension est de travailler concrètement aux relations sociales de demain. Ce sont les trois critères du philosophe Socrate : vrai, bon et utile. C’est une belle aventure humaine, comme devrait l’être les relations sociales.
 
Gérad Taponat est Professeur associé à l'Université Paris-Dauphine, il est spécialiste des questions de la négociation sociale et des relations sociales.Directeur du master Négociations et relations sociales (formation continue) de l'Université Paris-Dauphine, il enseigne également dans différents domaines des ressources humaines au sein des masters, MBA et Executive MBA de l'Université Paris-Dauphine et UQAM Montréal. Il a assuré la fonction de DRH chez IBM, SFR Cegetel, Disneyland Paris, Kraft Foods et aujourd'hui Manpower. Il est titulaire d'un DESS et d'un DEA en ressources humaines et relations sociales, à l'Université Paris I Panthéon Sorbonne. Il intervient dans différents séminaires, formations et universités, en France et à l'étranger sur les questions de stratégie sociale, de santé au travail et de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Il conduit différents projets d'innovation et d'ingénierie sociale.

 

Dialogue social
Former et développer les compérences des acteurs
Hubert Landier
2016 - 136 pages
Editions De Boeck Supérieur
Véritable guide pratique pour les acteurs de la négociation sociale en entreprise, cet ouvrage met en valeur des initiatives remarquables et propose des pistes de travail pour améliorer le dialogue social par la valorisation des compétences des acteurs.
Pour plus d'informations, rendez-vous sur
http://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807302266-dialogue-social
 




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