Cela reste vrai dans un certain nombre de situations mais les entreprises qui se rendent coupables de « social washing » ou de « green washing » prennent des risques importants que les consommateurs ne manquent pas de dénoncer. Avec des conséquences désastreuses sur leur image de marque.
A la croisée des chemins de l’éthique et de l’économie, mieux vaut emprunter la voie de la sincérité. Celui qui feint les bons sentiments doit craindre la soif de transparence qu’internet étanche si aisément. Car la pratique du don, corollaire de l’émergence d’une nouvelle éthique du commerce, n’a rien d’une mode. L’hyper matérialisme propre aux modèles consuméristes du XXème siècle trouve ses limites dans une société en crise à la recherche de nouveaux repères. Les deux dernières décennies ponctuées de crises économiques, financières, politiques ont contribué à transformer en profondeur les contours de la communication. L’entreprise ne communique plus seulement sur ses biens ou services, elle véhicule des valeurs.
En comblant sans doute l’espace libéré par le recul des grandes institutions créatrices de sens (églises, école, armée), la société dans son ensemble tend à reconsidérer la place de l’entreprise sur le plan économique mais également social. Sous l’angle d’une gestion plus saine, mieux intégrée à son environnement, l’entreprise dépasse sa fonction de base (création de richesses) et accède à la sphère sociétale par l’engagement (création de valeurs). Son succès n’est pas simplement proportionnel à ses profits mais aussi fonction de ses réalisations sociales, du bien-être de ses salariés, de l’utilité de son actionnariat. La pratique du don et l’exercice de la gratuité s’en trouvent renouvelés et sont même à la base d’un segment de l’économie, celui de la connaissance.
Don et gouvernance
En 2012, plus d’un tiers des entreprises françaises sont engagées dans des actions de mécénat que le législateur a d’ailleurs rendu plus faciles et plus avantageuses (loi Aillagon de 2003). Les dons d’entreprises ne datent cependant pas d’hier. Il suffit de se référer aux listes des généreux donateurs qui ornent les entrées de la plupart des musées pour s’en convaincre. Aujourd’hui, les entreprises continuent de nouer volontiers de grands partenariats avec des associations d’intérêt général. SFR ou HSBC soutiennent le Sidaction, Crédit Agricole ou Leclerc soutiennent les Restos du Cœur, Optic 2000 ou Picard Surgelés soutiennent le Téléthon. Telle entreprise reverse 5% de son chiffre d’affaires à une ONG environnementale, telle autre reverse 1% de ses bénéfices à la lutte contre la faim.
Certaines associations se spécialisent même dans le don. On peut citer l’agence du don en nature (ADN), plateforme d’échange qui met en relation les industriels et les associations. L’ADN fonctionne sur le modèle d’une banque alimentaire et collecte les vêtements, les produits d’hygiène, la lessive, du mobilier ou encore des jouets invendus auprès d’entreprises partenaires (Celio, la FNAC, L’Oréal, Playmobil). Elle les revend ensuite à faible coût aux associations, lesquelles les redistribueront par la suite aux personnes en situation d’exclusion.
Aussi louables et nécessaires soient-elles, ces actions s’inscrivent dans une pratique classique du mécénat proche de la philanthropie (agir pour les autres) où le don est surtout affaire de dirigeants.
Or, l’heure est à l’engagement personnel des collaborateurs. Ils souhaitent un mécénat plus participatif qui donne sa place à l’interaction et la solidarité (agir avec les autres). Lors d’une récente enquête, 80% des salariés se disaient ainsi prêts à participer à des actions lancées par leur entreprise. Cette participation qu’ils appellent de leurs vœux donnent naissance à une nouvelle forme de mécénat, baptisé mécénat de compétences, dans lequel l’entreprise ne se contente pas de supporter financièrement une cause mais propose à ses collaborateurs de s’impliquer personnellement. Le don de temps et le don de soi sont vécus comme une expérience de partage.
Le mécénat de compétences
Certaines entreprises comme La Poste ou Bouygues offrent à leurs salariés la possibilité de s’investir au plus près de chez eux en coachant par exemple des jeunes dans leur recherche d’emploi. D’autres mettent en œuvre des programmes plus sophistiqués et originaux véritables « services civiques corporate ».
C’est le cas de GDF SUEZ, leader dans le domaine de l’énergie, qui a lancé un dispositif ambitieux baptisé « Rassembleurs d’énergies ». Environ 1 600 bénévoles, collaborateurs du groupe, effectuent des missions volontaires au sein des trois ONG. Ils ont ainsi permis de connecter 1 million de personnes à l’électricité en dix ans. Même logique et même force de projection pour le laboratoire Pfizer qui a déployé 200 de ses salariés les plus talentueux dans une quarantaine de pays pour améliorer l’accès aux soins des plus démunis dans le monde entier. Les collaborateurs sont sélectionnés, puis effectuent une mission de 3 à 6 mois, au sein d’ONG ou d’organisations internationales qui luttent contre le SIDA ou la tuberculose. Des scientifiques, infirmières, techniciens de laboratoires, mais aussi des responsables marketing, analystes financiers, et spécialistes des ressources humaines ont été mis à disposition d’organisations comme l’African and Medical Research Foundation et l’American Cancer Society.
De telles actions ne sont pas l’apanage des "world companies". Sans disposer des moyens financiers de GDF SUEZ ou de Pfizer, Optic 2000, coopérative formée d’opticiens indépendants, a pour sa part mis sur pied des missions ophtalmologiques en Afrique et plus particulièrement au Burkina Faso. En lien étroit avec l’ONG médicale Jérémi, des achats d’équipements ophtalmologiques sont réalisés au profit des hôpitaux et des opticiens du réseau envoyés sur le terrain. Leur mission consiste à mener des actions de dépistage des troubles visuels dans les écoles et à équiper les enfants qui en ont besoin. Chaque année, 200 000 lunettes sont collectées à cet effet auprès des Français par les opticiens Optic 2000 et acheminées vers l’Afrique. Ces actions relèvent d’ « une autre vision de la vie », selon le slogan du groupe, facteur de cohésion pour les salariés et les opticiens membres du réseau.
Don et management
Car au-delà de l’adhésion des consommateurs, la force du don au sein de l’entreprise est bien de favoriser l’intégration des salariés et partenaires (logique de gouvernance). Ces derniers deviennent des acteurs de la société civile ce qui, bien entendu, est motif de fierté et d’implication. La force du don s’exprime aussi dans la relation individuelle entre le collaborateur et le manager (logique managériale). Le manager doit comprendre l’autre, pour le comprendre, il faut passer du temps avec lui, l’écouter, l’observer, en un mot : donner de soi pour obtenir des autres. Tout chef d’entreprise conviendra que l’on peut manager sans générosité mais qu’il n’est pas possible de manager sans générosité sur le long terme sans nuire aux performances individuelles. Last but not least, la force du don s’exprime enfin dans les relations entre collègues (logique relationnelle). En France, la loi permet par exemple à chaque salarié renoncer anonymement à tout ou partie de ses RTT et autres heures supplémentaires et les donner à un parent d’enfant malade.
Vers une économie du don?
Outil de gouvernance, outil managérial, la pratique du don aux autres et de soi est intimement liée à l’entreprise. Mais s’il renseigne sur la place de l’entreprise dans la société, s’il est lié à l’épanouissement du salarié au travail, le don renouvelle aussi en profondeur certains segments de l’économie. La connaissance, autrefois chasse gardée d’une élite, est aujourd’hui devenue, à la faveur d’internet, le terreau d’une nouvelle économie du don.
La question des logiciels libres par opposition aux logiciels propriétaires vendus sous licence ou du piratage en témoignent. Wikipédia qui a détrôné l’encyclopédie Universalis grâce à la contribution gratuite de millions d’internautes, les hébergeurs de données comme Google ou Hotmail qui recueillent jusqu’à présent gratuitement nos contenus et donnent accès non moins gratuitement à des applications (messagerie, moteur de recherche), révèlent que l’économie de la connaissance a intégré la culture du don. Nous avons accès aujourd’hui gratuitement à tout un ensemble de services autrefois payants.
Ces quelques exemples ciblés et non exhaustifs illustrent la place significative que, paradoxalement, le don occupe dans nos vies et dans l’économie. A l’heure où les salariés sont en quête de sens au travail, le don est notamment une façon efficace pour les entreprises de développer leur engagement sociétal et leur fierté d’appartenance. Il participe à la création de richesses au même titre que l’échange marchand. Insérer le don et la gratuité dans l’activité économique n’a rien d’une utopie ou d’une lubie sans fondement. Benoit XVI en a même fait l’objet de sa dernière encyclique, Caritas in veritate, pointant ainsi du doigt un des traits de caractère de l’homo oeconomicus moderne.
A la croisée des chemins de l’éthique et de l’économie, mieux vaut emprunter la voie de la sincérité. Celui qui feint les bons sentiments doit craindre la soif de transparence qu’internet étanche si aisément. Car la pratique du don, corollaire de l’émergence d’une nouvelle éthique du commerce, n’a rien d’une mode. L’hyper matérialisme propre aux modèles consuméristes du XXème siècle trouve ses limites dans une société en crise à la recherche de nouveaux repères. Les deux dernières décennies ponctuées de crises économiques, financières, politiques ont contribué à transformer en profondeur les contours de la communication. L’entreprise ne communique plus seulement sur ses biens ou services, elle véhicule des valeurs.
En comblant sans doute l’espace libéré par le recul des grandes institutions créatrices de sens (églises, école, armée), la société dans son ensemble tend à reconsidérer la place de l’entreprise sur le plan économique mais également social. Sous l’angle d’une gestion plus saine, mieux intégrée à son environnement, l’entreprise dépasse sa fonction de base (création de richesses) et accède à la sphère sociétale par l’engagement (création de valeurs). Son succès n’est pas simplement proportionnel à ses profits mais aussi fonction de ses réalisations sociales, du bien-être de ses salariés, de l’utilité de son actionnariat. La pratique du don et l’exercice de la gratuité s’en trouvent renouvelés et sont même à la base d’un segment de l’économie, celui de la connaissance.
Don et gouvernance
En 2012, plus d’un tiers des entreprises françaises sont engagées dans des actions de mécénat que le législateur a d’ailleurs rendu plus faciles et plus avantageuses (loi Aillagon de 2003). Les dons d’entreprises ne datent cependant pas d’hier. Il suffit de se référer aux listes des généreux donateurs qui ornent les entrées de la plupart des musées pour s’en convaincre. Aujourd’hui, les entreprises continuent de nouer volontiers de grands partenariats avec des associations d’intérêt général. SFR ou HSBC soutiennent le Sidaction, Crédit Agricole ou Leclerc soutiennent les Restos du Cœur, Optic 2000 ou Picard Surgelés soutiennent le Téléthon. Telle entreprise reverse 5% de son chiffre d’affaires à une ONG environnementale, telle autre reverse 1% de ses bénéfices à la lutte contre la faim.
Certaines associations se spécialisent même dans le don. On peut citer l’agence du don en nature (ADN), plateforme d’échange qui met en relation les industriels et les associations. L’ADN fonctionne sur le modèle d’une banque alimentaire et collecte les vêtements, les produits d’hygiène, la lessive, du mobilier ou encore des jouets invendus auprès d’entreprises partenaires (Celio, la FNAC, L’Oréal, Playmobil). Elle les revend ensuite à faible coût aux associations, lesquelles les redistribueront par la suite aux personnes en situation d’exclusion.
Aussi louables et nécessaires soient-elles, ces actions s’inscrivent dans une pratique classique du mécénat proche de la philanthropie (agir pour les autres) où le don est surtout affaire de dirigeants.
Or, l’heure est à l’engagement personnel des collaborateurs. Ils souhaitent un mécénat plus participatif qui donne sa place à l’interaction et la solidarité (agir avec les autres). Lors d’une récente enquête, 80% des salariés se disaient ainsi prêts à participer à des actions lancées par leur entreprise. Cette participation qu’ils appellent de leurs vœux donnent naissance à une nouvelle forme de mécénat, baptisé mécénat de compétences, dans lequel l’entreprise ne se contente pas de supporter financièrement une cause mais propose à ses collaborateurs de s’impliquer personnellement. Le don de temps et le don de soi sont vécus comme une expérience de partage.
Le mécénat de compétences
Certaines entreprises comme La Poste ou Bouygues offrent à leurs salariés la possibilité de s’investir au plus près de chez eux en coachant par exemple des jeunes dans leur recherche d’emploi. D’autres mettent en œuvre des programmes plus sophistiqués et originaux véritables « services civiques corporate ».
C’est le cas de GDF SUEZ, leader dans le domaine de l’énergie, qui a lancé un dispositif ambitieux baptisé « Rassembleurs d’énergies ». Environ 1 600 bénévoles, collaborateurs du groupe, effectuent des missions volontaires au sein des trois ONG. Ils ont ainsi permis de connecter 1 million de personnes à l’électricité en dix ans. Même logique et même force de projection pour le laboratoire Pfizer qui a déployé 200 de ses salariés les plus talentueux dans une quarantaine de pays pour améliorer l’accès aux soins des plus démunis dans le monde entier. Les collaborateurs sont sélectionnés, puis effectuent une mission de 3 à 6 mois, au sein d’ONG ou d’organisations internationales qui luttent contre le SIDA ou la tuberculose. Des scientifiques, infirmières, techniciens de laboratoires, mais aussi des responsables marketing, analystes financiers, et spécialistes des ressources humaines ont été mis à disposition d’organisations comme l’African and Medical Research Foundation et l’American Cancer Society.
De telles actions ne sont pas l’apanage des "world companies". Sans disposer des moyens financiers de GDF SUEZ ou de Pfizer, Optic 2000, coopérative formée d’opticiens indépendants, a pour sa part mis sur pied des missions ophtalmologiques en Afrique et plus particulièrement au Burkina Faso. En lien étroit avec l’ONG médicale Jérémi, des achats d’équipements ophtalmologiques sont réalisés au profit des hôpitaux et des opticiens du réseau envoyés sur le terrain. Leur mission consiste à mener des actions de dépistage des troubles visuels dans les écoles et à équiper les enfants qui en ont besoin. Chaque année, 200 000 lunettes sont collectées à cet effet auprès des Français par les opticiens Optic 2000 et acheminées vers l’Afrique. Ces actions relèvent d’ « une autre vision de la vie », selon le slogan du groupe, facteur de cohésion pour les salariés et les opticiens membres du réseau.
Don et management
Car au-delà de l’adhésion des consommateurs, la force du don au sein de l’entreprise est bien de favoriser l’intégration des salariés et partenaires (logique de gouvernance). Ces derniers deviennent des acteurs de la société civile ce qui, bien entendu, est motif de fierté et d’implication. La force du don s’exprime aussi dans la relation individuelle entre le collaborateur et le manager (logique managériale). Le manager doit comprendre l’autre, pour le comprendre, il faut passer du temps avec lui, l’écouter, l’observer, en un mot : donner de soi pour obtenir des autres. Tout chef d’entreprise conviendra que l’on peut manager sans générosité mais qu’il n’est pas possible de manager sans générosité sur le long terme sans nuire aux performances individuelles. Last but not least, la force du don s’exprime enfin dans les relations entre collègues (logique relationnelle). En France, la loi permet par exemple à chaque salarié renoncer anonymement à tout ou partie de ses RTT et autres heures supplémentaires et les donner à un parent d’enfant malade.
Vers une économie du don?
Outil de gouvernance, outil managérial, la pratique du don aux autres et de soi est intimement liée à l’entreprise. Mais s’il renseigne sur la place de l’entreprise dans la société, s’il est lié à l’épanouissement du salarié au travail, le don renouvelle aussi en profondeur certains segments de l’économie. La connaissance, autrefois chasse gardée d’une élite, est aujourd’hui devenue, à la faveur d’internet, le terreau d’une nouvelle économie du don.
La question des logiciels libres par opposition aux logiciels propriétaires vendus sous licence ou du piratage en témoignent. Wikipédia qui a détrôné l’encyclopédie Universalis grâce à la contribution gratuite de millions d’internautes, les hébergeurs de données comme Google ou Hotmail qui recueillent jusqu’à présent gratuitement nos contenus et donnent accès non moins gratuitement à des applications (messagerie, moteur de recherche), révèlent que l’économie de la connaissance a intégré la culture du don. Nous avons accès aujourd’hui gratuitement à tout un ensemble de services autrefois payants.
Ces quelques exemples ciblés et non exhaustifs illustrent la place significative que, paradoxalement, le don occupe dans nos vies et dans l’économie. A l’heure où les salariés sont en quête de sens au travail, le don est notamment une façon efficace pour les entreprises de développer leur engagement sociétal et leur fierté d’appartenance. Il participe à la création de richesses au même titre que l’échange marchand. Insérer le don et la gratuité dans l’activité économique n’a rien d’une utopie ou d’une lubie sans fondement. Benoit XVI en a même fait l’objet de sa dernière encyclique, Caritas in veritate, pointant ainsi du doigt un des traits de caractère de l’homo oeconomicus moderne.