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Cybersécurité et démarche prospective pour une redynamisation du ferroviaire en Afrique


François Nguilla Kooh, PhD
Vendredi 18 Octobre 2024



Avec plus de 8000 Mds USD de chiffre d’affaires, la cybercriminalité est la 3e économie mondiale devançant le trafic de drogue et d’armes. L’ampleur de l’activité de ce secteur n’est pas suffisamment prise en compte dans bon nombre d’entreprises et notamment en Afrique où seulement 12 % d’entre elles abordent dans leur COMEX les questions de cybersécurité comparée aux 49 % au niveau mondial.



En Afrique, la croissance exponentielle (mais pas toujours structurée) de l’utilisation d’Internet dans certains pays s’illustre par l’explosion du marché des technologies et services mobiles. En 2020 le rapport conjoint de la Société financière internationale (IFC) de la Banque Mondiale et Google indiquait que l’économie de l’Internet en Afrique devrait contribuer à hauteur de 180 milliards de dollars à l’économie globale du continent d’ici à 2025, pour atteindre 712 milliards de dollars en 20 502. Tous ces chiffres ont de quoi donner le tournis. D’un autre côté, l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) des Nations Unies observe également une augmentation des pertes financières considérables pour l’économie africaine allant jusqu’à une amputation de 10 % de PIB pour certains pays. De 2021 à 2023, le coût des cyberattaques est passé d’environ 2 milliards de dollars US à 4 milliards. Malheureusement selon l’IUT pays, 17 pays seulement ont élaboré une stratégie nationale de cybersécurité (et parmi lesquels environ 8 disposent d’une évaluation des menaces). Le rapport 2024 d’AFRIPOL/INTERPOLconfirme l’intensification des cybermenaces et attaques dans la région et notamment contre des infrastructures critiques et des services de première ligne (banques, communications, eau, énergie, transport, etc.).

Les actifs ferroviaires tout comme les autres infrastructures critiques ne sont pas à l’abri de ces menaces protéiforme. Les experts craignent que les ports et les industries de transports maritimes africains deviennent la cible d’une attaque susceptible de perturber gravement les échanges et le commerce. Avec quatre-vingt-seize pour cent des incidents de cybersécurité qui ne seraient pas signalés ou restent non résolus, les menaces cyber en Afrique sont bien pires que ce l’on croit4. Augmenter la posture globale de cybersécurité passe par le contrôle des États et des citoyens de la manière dont sont utilisés et protégés les canaux de communication pour la stabilité économique et sociale. On sait combien l’Afrique a une dépendance extérieure forte. Jérôme Coutant, ancien membre de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) en France déclarait d’ailleurs en juillet 2020 que la souveraineté si difficilement conquise des États africains est en danger. Mais cette fois, la nouvelle forme de colonisation porte sur le numérique5. Déjà en juin 2022, Philippe Wang, Vice-président exécutif de Huawei pour l’Afrique du Nord, déclarait sur les antennes de RFI que la souveraineté numérique est un atout pour l’émergence de l’Afrique alors que cette même firme chinoise est la cible de soupçons d’espionnage avec ses smart City, et la dépendance de l’Afrique vis-à-vis de ses datacenters et ses câbles sous-marins. Accusé de jouer la politique de l’État chinois des nouvelles routes de la soie.

Le ferroviaire, industrie d’importance capitale aura sans doute un attrait particulier. Le dernier congrès international de l’Union Internationale des Chemins de fer (UIC) tenu du 28 au 30 mai 2024 à Yaoundé au Cameroun a été l’occasion de remettre l’impérative nécessité d’une maîtrise des risques numériques dans tous les projets ferroviaires. J’en ai profité lors de mon interventionen ouverture de ce congrès pour rappeler l’importance d’une démarche d’Intelligence économique ainsi que de Gouvernance Risque et Conformité (GRC) dans tous les projets engagés. La prise en compte du risque d’espionnage industriel est à considérer dès la conception des projets d’infrastructures critiques.

L’Afrique a devant elle des défis importants à considérer : une transition démographique à anticiper, un réseau de transport déficient, un désert ferroviaire à vivifier et qui laisse à date l’Afrique sur le quai d’insoupçonnées opportunités économiques. Selon l’UIC, l’Afrique comptait en 2014, 35 pays disposant d’un réseau ferroviaire opérationnel. En 2021, lors de l’appel de Rabat, l’UIC région Afrique (UIC-RA) a présenté, dans son rapport au nom évocateur « Revitalisation du rail en Afrique »7, une architecture avec pour mission de rendre tangibles les intentions de redynamisation de ferroviaire en Afrique. La ZLECAF (Zone de Libre Échanges Commerciaux en Afrique), l’Agenda 2063 de l’Union Africaine, sont des programmes majeurs. Les transformations prévues dans le secteur du ferroviaire sur ce continent peuvent être une opportunité pour l’Afrique d’embarquer dans le bon train de la cybsersécurité native. En effet, ne souffrant pas du poids des systèmes numériques informationnels, ferroviaires lourds et propriétaires, le ferroviaire Africain de demain peut saisir l’opportunité qui lui est offerte de prendre un train « sûr ».

De grands projets ferroviaires sont en cours en Afrique et beaucoup d’entre eux embarqueront de fait de nouvelles technologies de l’information et de télécommunication. C’est un avantage qui l’oblige à prendre les bonnes mesures dès l’émergence des projets au risque de se trouver dépourvu au-devant de la déferlante prédation. Les entreprises de ces secteurs, souvent liées à des enjeux de ressources qui sont essentielles aux chaînes de valeurs mondiales, sont plus susceptibles d’être attaquées. Il s’agit notamment de celles liées aux activités minières et énergétiques en particulier8. L’attrait par la cybermalveillance internationale des infrastructures critiques africaines et en l’occurrence le ferroviaire sera grandissant dans les années à venir. La prégnance de cette menace appelle à une volonté politique, des compétences et de moyens financiers pour y faire face de manière prospective. Gouverner étant prévoir, il faudrait au niveau de l’Union Africaine ou au plus haut niveau des États encourager et/ou renforcer les initiatives régionales comme le rappellent Abdul-Hakeem Ajijola et Nate D.F. Allen du Centre d’Études Stratégiques de l’Afrique9.

Il faut faire sa bonne place dans les instances de spécification des normes technologiques, industrielles, de cybersécurité. Activer les leviers d’innovations locales, et mettre en place des plateformes d’échange et de formation comme l’a fait l’Union européenne. La quasi-absence de l’Afrique au grand salon mondial Innotrans de Berlin septembre 2024 montre bien l’écart abyssal entre les puissances industrielles du ferroviaire et les autres. Et cet écart ne peut se combler sans des synergies inter-États africains. L’Afrique a sa carte collective à jouer pour mutualiser les forces aussi bien pour des innovations que pour maîtriser les risques numériques systémiques.

Les défis sont innombrables, mais pas insurmontables au-delà des préoccupations de bonne gouvernance, de stabilisation de sécurité intérieure pour un environnement propice aux affaires. Ce sont des fondements pour une véritable émergence d’industries porteuses de progrès.

1) IFC, e -Conomy Africa 2020 – Africa’s $180 Billion Internet Economy Future. ifc.org/wps/wcm/connect/publications_ext_content/ifc_external_publication_site/publications_listing_page/google – e – conomy
2) Rapport Interpol de 2024 sur l’évaluation des cybermenaces en Afrique, 3e Édition
3) Nathaniel Allen, L’Afrique à l’épreuve des nouvelles formes de cybercriminalité [2 février 2021]. africacenter.org/fr/spotlight/lafrique-a-lepreuve-des-nouvelles-formes-de-cybercriminalite/
4) Jérôme Coutant, La souveraineté numérique, nouvelle lutte pour l’indépendance? [25 juillet 2020]. jeuneafrique.com/1019825/economie/tribune-la-souverainete-numerique-nouvelle-lutte-pour-lindependance/
5) https://uic.org/events/IMG/pdf/congres_uic_camrail-_kooh-3.pdf
6) UIC, La revitalisation du rail en Afrique, destination 2040 [octobre 2016]. uic.org/africa/IMG/pdf/la-revitalisation-
du-rail-en-afrique.pdf
7) Gilles Babinet, L’Afrique à l’épreuve de la cybersécurité [19 mai 2022]. institutmontaigne.org/analyses/lafrique- lepreuve-de-la-cybersecurite
8 Abdul-Hakeem Ajijola et Nate D. F. Allen, Leçons d’Afrique en matière de cyber-stratégie [18 mars 2022].
/africacenter.org/fr/spotlight/lecons-dafrique-en-matiere-de-cyber-strategie/

 





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