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Accompagner : un don social?


Danièle Boulard
Mardi 27 Septembre 2016



« Accompagner quelqu’un, c’est se placer ni devant, ni derrière, ni à la place. C’est être à côté» (1).

Cette citation met très bien en relief la notion d’accompagnement comme étant une relation plus égalitaire et accessible par rapport aux autres types de relations mentionnées lors de nos dernières tribunes. Celle-ci fait appel au fait de demeurer un cœur à l’écoute, un guide, un pansement sur les plaies (2), une protection et bien d’autres images que nous n’énumérerons pas ici. Faisons un petit retour en arrière. Dans la première tribune, nous avons démystifié le terme « accompagnement ». Dans la deuxième, nous avons posé un regard sur le mode de relation et dans celle-ci, nous abordons cette relation sous un angle plus social.



L’urgence de créer des zones d’accompagnement

Il est grand temps de réfléchir aux façons de combler ce « manque » d’accompagnement dans une société où tout est relégué à la productivité et à la performance. Nous savons tous que pour combler ce « manque », il faut du temps, beaucoup de générosité et un besoin très fort de perpétuer le lien social (Karsenti, 1994, p. 34) (3) . Plusieurs questions nous viennent à l’esprit. Tout d’abord, avons-nous réellement le temps, dans une société comme la nôtre, de participer à des causes si grandes et loyales? Qu’est-ce qui motive un individu à adhérer à un projet social, qui consiste non seulement à « donner » et à « recevoir », mais aussi à « rendre » à la société?

Cela dit, plusieurs problématiques sociétales permettent de croire qu’il faut de plus en plus des « zones de proximité », à cause de plusieurs facteurs tels, le vieillissement de la population, la perte d’affiliation traditionnelle à un groupe ou à une communauté, les problèmes de détresse des jeunes, le manque de relève dans les organisations, la perte des savoirs dans les organisations, la solitude chez les gens de tout âge, la course au succès dans sa vie individuelle et professionnelle et bien d’autres. L’évidence est là, nous avons de plus en plus besoin d’avoir quelqu’un, à qui on peut se confier, faire confiance, afin de partager nos difficultés qui sont très souvent des blocages qui nous empêchent d’aller de l’avant avec autant de confiance et de détermination.

L’accompagnement : un geste individuel et/ou sociétal

Soyons plus précis. À notre avis, l’accompagnement peut être vu à la fois comme un geste individuel et sociétal, car le social est relié à l’individuel et chaque élément est interrelié l’un à l’autre. Si nous aidons notre prochain, nous n’aidons pas seulement une personne en particulier, mais bien un grand nombre de personnes qui perpétuent ce lien social. C’est une façon idéaliste de voir l’accompagnement, nous en convenons, mais sans idéaux, la société n’évolue pas.
 
Karsenti (1994) précise nos propos en regardant l’accompagnement comme « un combat, une force, une lutte incessante de vouloir perpétuer le lien social ». En autres mots, il voit ce contrat social non seulement comme une relation où il faut « donner » et « recevoir », mais aussi « rendre » à la société. À nos yeux, cette façon de penser est très loyale, mais est-elle teintée de réalisme, tenant compte de toutes nos obligations vis-à-vis de la société? Avouons qu’avant d’en arriver là, les citoyens du monde entier devront réaliser et prendre conscience que de « donner » n’est pas un simple rapport entre le donateur et le donataire, mais une pluralité de rapports, commençant par le renoncement personnel de son égoïsme et individualisme. Ainsi, le fait de « rendre » à la société exige une conscience individuelle et sociétale et une volonté de s’ouvrir à l’Autre qui est grandiose, mais en toute honnêteté, ne répond pas à tous les besoins et les capacités des individus.

Sommes-nous prêts à s’engager dans cette voie?

Surtout avec la discrimination et le regard que nous posons sur les ainés, particulièrement dans le monde occidental; sommes-nous prêts à leur laisser la place qu’ils méritent, celle de transmettre leurs savoirs? Nous vivons dans une époque, où tout va vite, où on ne veut pas s’arrêter ; sommes-nous prêts à prendre un peu de recul afin de changer nos manières d’être et de faire? De plus, nous avons fabriqué ces derniers temps un « enfant- roi» ; sera-t-il réceptif à s’engager dans une relation où il faut réfléchir à autre chose qu’à « soi »? Nous aimons croire que nous avons tous à l’heure actuelle, les moyens pour aller dans ce sens, surtout que nous savons de plus en plus que nous avons besoin des uns et des autres pour accomplir quelque chose de bien et que de voyager seul peut être un périple très solitaire et ennuyeux. Il reste à savoir si nous avons la volonté de le faire.

En dernier lieu, nous réalisons que cette tribune pose plus de questions que de réponses, mais cela nous apparaît normal, car cette réflexion n’est qu’à ses débuts. Notre souhait le plus cher serait que cette dernière nous fasse réfléchir sur l’importance de créer de nouveaux « espaces de proximité » au travers d’organisations diverses, où l’engagement des partenaires sera mutuel et productif et où l’on sentira que d’accompagner quelqu’un ou d’être accompagné par quelqu’un sera pour chacun de nous une source vitale et essentielle.

À la prochaine!

(1) Citation de Joseph Templier, site Web Le Figaro, consulté le 9 septembre 2016 : http://evene.lefigaro.fr/citation/accompagner-placer-devant-derriere-place-etre-cote-8784.php

(2) Pinkola Estés, Clarissa. 2009. «  Libérer la femme puissante », Éditions : Bernard Grasset, Paris, p.91

(3) Karsenti, B. 1994. Marcel Mauss, Le fait social total. Collection Philosophies. Paris : Presses universitaires de France. 128 p.

(4) http://www.psychologies.com/Moi/Moi-et-les-autres/Relationnel/Articles-et-Dossiers/De-l-enfant-roi-a-l-adulte-tyran


 

Danièle Boulard est détentrice d’un baccalauréat en psychosociologie (1997), d’une maîtrise en communication (2000) et d'un doctorat en communication (2012) tous les trois obtenus à l’Université du Québec à Montréal.Son mémoire de maîtrise porte sur les relations entre le mentor et le protégé et les attentes de ces deux acteurs au sein d’une relation mentorale; sa thèse de doctorat quant à elle présente le mentorat comme outil d’intégration des immigrants.Actuellement chercheure autonome, elle travaille depuis 2004, avec les équipes de recherche du professeur Benoit Duguay ; elle a été impliquée dans plusieurs études réalisées pour la Ville de Montréal et d'autres organismes. Elle a précédemment fait carrière au sein d'une entreprise multinationale en formation professionnelle, entre autres comme directrice des services aux étudiants puis comme directrice de succursale.

Retrouvez Danièle Boulard sur http://duguay.org/db/




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