L'évolution de la consommation contemporaine
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En matière de consommation, joue également un phénomène d’habituation, soit une « réduction ou suppression des réactions en cas de répétition de stimuli semblables(3) . » Le plaisir que nous procurent les caractéristiques d’un objet est lui aussi éphémère. Il s’use. C’est là d’ailleurs ce qui a entraîné une montée du luxe et qui permet aux concepteurs de produits de constamment proposer de nouveaux modèles « améliorés ». La quête du plaisir de consommer exigera donc, d’amélioration en amélioration, de proposer des produits toujours plus performants, toujours plus luxueux. Cette inflation de la performance et du luxe est un autre facteur qui a favorisé la naissance de la société d’hyperconsommation, cette forme de société qui accorde une importance démesurée à la consommation, entraînant des dérives parmi lesquelles la plus grave, pour l’acheteur, est sans conteste l’endettement.
Dans la société de consommation, la construction d’une image de soi positive, la recherche d’un statut et le désir de se distinguer ont prédominé; si ces motivations ne sont pas disparues dans la société d’hyperconsommation, s’y ajoute maintenant « le plaisir narcissique de sentir une distance avec le commun en bénéficiant d’une image positive de soi pour soi(4). » Dans les sociétés industrialisées, l’individualisme, voire l’égocentrisme, prend des proportions épidémiques, ce que dévoile l’observation de la publicité, très révélatrice des valeurs d’une société. Ce culte du moi, le rythme accéléré de la vie courante, le sentiment largement répandu d’avoir « droit » au luxe et la prédominance de l’attitude « ici et maintenant » ont transformé profondément les sociétés postmodernes; au-delà de l’hyperconsommation, elles se sont engagées dans une nouvelle phase, celle de la consumation.
C’est à Michel Maffesoli qu’on doit l’expression « société de consumation ». La jouissance de la vie centrée sur le moment présent est la marque de commerce de cette nouvelle phase de la consommation : « Présentéisme qui semble être, plus ou moins inconscient, l’une des marques essentielles de cette postmodernité naissante : le carpe diem, décliné sous ses diverses modulations, est une sorte d’“instant éternel”. L’éternité est comme rapatriée dans un moment donné sur cette terres (5)». La formule latine carpe diem, qui invite à profiter du moment présent, est certainement le leitmotiv de nos sociétés postmodernes.
Maffesoli souligne également l’influence déterminante des technologies sur la l’avènement de la société de consumation : « … la postmodernité repose bien sur la synergie de l’archaïque et du développement technologique ». Cela touche tout particulièrement les produits permettant l’interaction en temps réel et la mobilité. En cette deuxième décennie du vingt et unième siècle, le meilleur exemple de ce qui précède est l’adoption en masse du smartphone ou combiné multimédia. À cet égard, des statistiques révèlent que les livraisons annuelles de cet appareil sont passées de 174 millions d’unités en 2009 à 1,3 milliard d’unités en 2014, soit une croissance de 647 (6).
Dans la société de consommation, la construction d’une image de soi positive, la recherche d’un statut et le désir de se distinguer ont prédominé; si ces motivations ne sont pas disparues dans la société d’hyperconsommation, s’y ajoute maintenant « le plaisir narcissique de sentir une distance avec le commun en bénéficiant d’une image positive de soi pour soi(4). » Dans les sociétés industrialisées, l’individualisme, voire l’égocentrisme, prend des proportions épidémiques, ce que dévoile l’observation de la publicité, très révélatrice des valeurs d’une société. Ce culte du moi, le rythme accéléré de la vie courante, le sentiment largement répandu d’avoir « droit » au luxe et la prédominance de l’attitude « ici et maintenant » ont transformé profondément les sociétés postmodernes; au-delà de l’hyperconsommation, elles se sont engagées dans une nouvelle phase, celle de la consumation.
C’est à Michel Maffesoli qu’on doit l’expression « société de consumation ». La jouissance de la vie centrée sur le moment présent est la marque de commerce de cette nouvelle phase de la consommation : « Présentéisme qui semble être, plus ou moins inconscient, l’une des marques essentielles de cette postmodernité naissante : le carpe diem, décliné sous ses diverses modulations, est une sorte d’“instant éternel”. L’éternité est comme rapatriée dans un moment donné sur cette terres (5)». La formule latine carpe diem, qui invite à profiter du moment présent, est certainement le leitmotiv de nos sociétés postmodernes.
Maffesoli souligne également l’influence déterminante des technologies sur la l’avènement de la société de consumation : « … la postmodernité repose bien sur la synergie de l’archaïque et du développement technologique ». Cela touche tout particulièrement les produits permettant l’interaction en temps réel et la mobilité. En cette deuxième décennie du vingt et unième siècle, le meilleur exemple de ce qui précède est l’adoption en masse du smartphone ou combiné multimédia. À cet égard, des statistiques révèlent que les livraisons annuelles de cet appareil sont passées de 174 millions d’unités en 2009 à 1,3 milliard d’unités en 2014, soit une croissance de 647 (6).
L’influence des technologies mobiles
Les transformations introduites par les produits issus de la technologie, tout particulièrement ceux favorisant la mobilité, sont parmi celles qui ont le plus influencé la consommation en ce début du vingt et unième siècle. Une des plus marquantes est sans contredit l’adoption en masse du smartphone, aussi appelé téléphone intelligent ou combiné multimédia.
Si nous sommes nombreux à voir dans l’iPhone d’Apple le premier smartphone, c’est qu’il s’agit du premier appareil de ce type véritablement destiné au marché grand public. Pour attirer cette clientèle, Steve Jobs a eu le génie de concevoir un produit séduisant. Dans un article intitulé « Invention de l’année : l’iPhone » publié dans un numéro spécial du Time le 1er novembre 2007, le journaliste Lev Grossman mentionne l’apparence de cet appareil au premier rang des raisons qui en font la meilleure invention de l’année : « 1. L’iPhone est beau (pretty) — La plupart des entreprises high-tech ne prennent pas le design au sérieux. Elles le traitent comme considération secondaire (afterthought). Une façade (window-dressing). Mais l’une des idées fondamentales de Jobs au sujet de la technologie, c’est qu’un bon design est en fait aussi important qu’une bonne technologie. Toutes les fonctionnalités sympas au monde ne vous seront d’aucune utilité, à moins que vous puissiez comprendre comment utiliser ces caractéristiques, et vous sentir intelligent et attrayant en le faisant. Par exemple : regardez ce qui se passe quand vous mettez l’iPhone en mode “avion” (c’est-à-dire pas de service cellulaire, WiFi, etc.) Un tout petit avion orange apparaît dans la barre de menu ! Mignon, me direz-vous. Mais de mignons petits détails comme celui-là font partie de ce qui rend l’iPhone utilisable dans un monde de gadgets inutiles. Il parle votre langue. Dans le monde de la technologie, la profondeur est vraiment en surface (7)»
Selon Maffesoli, cette recherche de l’esthétique est une des caractéristiques de l’ère de la consumation : « C’est ce [la beauté des objets] qui réapparaît, en notre postmodernité, par le souci du beau, que l’on va retrouver dans les objets ménagers, dans l’aménagement de l’espace, dans la multiplicité des magazines et magasins consacrés au “bien-être” sous ses diverses formes. On n’est plus, dès lors, dans la simple consommation, mais dans une ambiance de consumation. C’est bien une éthique de l’esthétique qui est en gestation. En son sens strict, un lien s’élaborant à partir du partage de la beauté et des émotions qu’elle ne manque pas de susciter (8) » Le désir du beau et le bien-être vont de pair. La « jouissance d’être » poussée à un paroxysme est en fait une des caractéristiques principales de la société de consumation, une autre étant ce que j’ai appelé l’« immédiateté (9), une forme d’attente temporelle qui se manifeste au moins depuis le tournant de l’an 2000.
L'esthétique des produits d’Apple n’aurait peut-être pas suffi à provoquer l’engouement de certains pour ceux-ci; en plus d’être esthétiques au sens large où l’entend Maffesoli, l’iPod, iPhone et l’iPad répondent à un désir ludique suscité par l’atmosphère dionysiaque propre à la société de consommation : « Il est indéniable que toute une partie de l’univers hyperconsommatif offre le spectacle d’une espèce de bacchanale luxuriante. Dès la [société de consommation], Baudrillard a bien décrit l’atmosphère festive que sécrètent les temples de la consommation à travers la profusion des objets et des stimulations répétées à l’infini. L’amoncellement des produits, les caddies remplis à ras bord, les sollicitations sans fin, tout cela contribue à créer une impression de vertige, une sorte de sensation d’orgies de la consommation. Centres commerciaux, soldes, braderies, tout incite aux désirs, tout paraît offert aux plaisirs et donné en surplus dans une négation frénétique de la rareté rappelant la corne d’abondance de Dionysos. Quelque chose comme une ambiance de débauche festive imprègne les lieux et les temps de la consommation survoltée (10).»
Désormais, le désir ludique est au premier rang des attentes que j’ai appelées sensorielles, celles visant le plaisir, entre autres celui des sens. Conséquence de la société d’abondance que nous connaissons depuis les années 1950, il est devenu aujourd’hui le moteur de l’hyperconsommation; les industriels de tout acabit s’ingénient à la fois à développer des produits propres à susciter ce type de désir et à les commercialiser en les présentant comme réponse à ce besoin supposément inné du consommateur.
Outre les aspects esthétiques et ludiques discutés ici, nous verrons prochainement qu’une autre motivation explique l’engouement des consommateurs pour les technologies mobiles : la possibilité que leur offrent ces dispositifs de demeurer en contact avec leurs tribus.
Si nous sommes nombreux à voir dans l’iPhone d’Apple le premier smartphone, c’est qu’il s’agit du premier appareil de ce type véritablement destiné au marché grand public. Pour attirer cette clientèle, Steve Jobs a eu le génie de concevoir un produit séduisant. Dans un article intitulé « Invention de l’année : l’iPhone » publié dans un numéro spécial du Time le 1er novembre 2007, le journaliste Lev Grossman mentionne l’apparence de cet appareil au premier rang des raisons qui en font la meilleure invention de l’année : « 1. L’iPhone est beau (pretty) — La plupart des entreprises high-tech ne prennent pas le design au sérieux. Elles le traitent comme considération secondaire (afterthought). Une façade (window-dressing). Mais l’une des idées fondamentales de Jobs au sujet de la technologie, c’est qu’un bon design est en fait aussi important qu’une bonne technologie. Toutes les fonctionnalités sympas au monde ne vous seront d’aucune utilité, à moins que vous puissiez comprendre comment utiliser ces caractéristiques, et vous sentir intelligent et attrayant en le faisant. Par exemple : regardez ce qui se passe quand vous mettez l’iPhone en mode “avion” (c’est-à-dire pas de service cellulaire, WiFi, etc.) Un tout petit avion orange apparaît dans la barre de menu ! Mignon, me direz-vous. Mais de mignons petits détails comme celui-là font partie de ce qui rend l’iPhone utilisable dans un monde de gadgets inutiles. Il parle votre langue. Dans le monde de la technologie, la profondeur est vraiment en surface (7)»
Selon Maffesoli, cette recherche de l’esthétique est une des caractéristiques de l’ère de la consumation : « C’est ce [la beauté des objets] qui réapparaît, en notre postmodernité, par le souci du beau, que l’on va retrouver dans les objets ménagers, dans l’aménagement de l’espace, dans la multiplicité des magazines et magasins consacrés au “bien-être” sous ses diverses formes. On n’est plus, dès lors, dans la simple consommation, mais dans une ambiance de consumation. C’est bien une éthique de l’esthétique qui est en gestation. En son sens strict, un lien s’élaborant à partir du partage de la beauté et des émotions qu’elle ne manque pas de susciter (8) » Le désir du beau et le bien-être vont de pair. La « jouissance d’être » poussée à un paroxysme est en fait une des caractéristiques principales de la société de consumation, une autre étant ce que j’ai appelé l’« immédiateté (9), une forme d’attente temporelle qui se manifeste au moins depuis le tournant de l’an 2000.
L'esthétique des produits d’Apple n’aurait peut-être pas suffi à provoquer l’engouement de certains pour ceux-ci; en plus d’être esthétiques au sens large où l’entend Maffesoli, l’iPod, iPhone et l’iPad répondent à un désir ludique suscité par l’atmosphère dionysiaque propre à la société de consommation : « Il est indéniable que toute une partie de l’univers hyperconsommatif offre le spectacle d’une espèce de bacchanale luxuriante. Dès la [société de consommation], Baudrillard a bien décrit l’atmosphère festive que sécrètent les temples de la consommation à travers la profusion des objets et des stimulations répétées à l’infini. L’amoncellement des produits, les caddies remplis à ras bord, les sollicitations sans fin, tout cela contribue à créer une impression de vertige, une sorte de sensation d’orgies de la consommation. Centres commerciaux, soldes, braderies, tout incite aux désirs, tout paraît offert aux plaisirs et donné en surplus dans une négation frénétique de la rareté rappelant la corne d’abondance de Dionysos. Quelque chose comme une ambiance de débauche festive imprègne les lieux et les temps de la consommation survoltée (10).»
Désormais, le désir ludique est au premier rang des attentes que j’ai appelées sensorielles, celles visant le plaisir, entre autres celui des sens. Conséquence de la société d’abondance que nous connaissons depuis les années 1950, il est devenu aujourd’hui le moteur de l’hyperconsommation; les industriels de tout acabit s’ingénient à la fois à développer des produits propres à susciter ce type de désir et à les commercialiser en les présentant comme réponse à ce besoin supposément inné du consommateur.
Outre les aspects esthétiques et ludiques discutés ici, nous verrons prochainement qu’une autre motivation explique l’engouement des consommateurs pour les technologies mobiles : la possibilité que leur offrent ces dispositifs de demeurer en contact avec leurs tribus.
(1) A. H. Maslow, Motivation and Personality, New York, Harper & Row, 1954, p. 69.
(2) G. Lipovetsky, « La société d’hyperconsommation », Le Débat, 2003, no 124, p. 77.
(3) M. Grawitz, Lexique des sciences sociales, Paris, Dalloz, 1994 (6e éd.), p. 195.
(4) G. Lipovetsky, Le bonheur paradoxal, Paris, Gallimard, 2006, p. 44.
(5) M. Maffesoli, « La société de consumation… », Sociétés, no 94, 2006, p. 15.
(6) Global smartphone shipments forecast from 2010 to 2019 (in million units), Statista : http://www.statista.com/statistics/12865/forecast-for-sales-of-smartphones-worldwide
(7) Time, 1er novembre 2007 : http://content.time.com/time/specials/2007/article/0,28804,1677329_1678542_1677891,00.html
(8) M. Maffesoli, « Nous sommes en train de réinventer la société de consommation », Les Échos, 15 août 2008. L’extrait se retrouve à la page 69 d’un recueil de textes intitulé « Du contrat au pacte. Miettes postmodernes ». Voir http://issuu.com/fredsable/docs/pacte
(9)B. Duguay, Consommation et luxe. La voie de l’excès et de l’illusion, Montréal, Liber, 2007, p. 109
(10) G. Lipovetsky, Le bonheur paradoxal, Paris, Gallimard, 2006, p. 191.
(2) G. Lipovetsky, « La société d’hyperconsommation », Le Débat, 2003, no 124, p. 77.
(3) M. Grawitz, Lexique des sciences sociales, Paris, Dalloz, 1994 (6e éd.), p. 195.
(4) G. Lipovetsky, Le bonheur paradoxal, Paris, Gallimard, 2006, p. 44.
(5) M. Maffesoli, « La société de consumation… », Sociétés, no 94, 2006, p. 15.
(6) Global smartphone shipments forecast from 2010 to 2019 (in million units), Statista : http://www.statista.com/statistics/12865/forecast-for-sales-of-smartphones-worldwide
(7) Time, 1er novembre 2007 : http://content.time.com/time/specials/2007/article/0,28804,1677329_1678542_1677891,00.html
(8) M. Maffesoli, « Nous sommes en train de réinventer la société de consommation », Les Échos, 15 août 2008. L’extrait se retrouve à la page 69 d’un recueil de textes intitulé « Du contrat au pacte. Miettes postmodernes ». Voir http://issuu.com/fredsable/docs/pacte
(9)B. Duguay, Consommation et luxe. La voie de l’excès et de l’illusion, Montréal, Liber, 2007, p. 109
(10) G. Lipovetsky, Le bonheur paradoxal, Paris, Gallimard, 2006, p. 191.
Benoit Duguay est professeur titulaire à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM, où il oeuvre depuis 2003, et chercheur à la Chaire de relations publiques et communication marketing. Il a précédemment fait carrière en ventes et marketing, principalement dans l’industrie informatique, au sein de sociétés multinationales et de petites et moyennes entreprises.
Il est notamment l'auteur de Consommation et nouvelles technologies (2009), Consommation et luxe (2007) et Consommation et image de soi (2005). Son dernier ouvrage Consommer, consumer. Dérives de la consommation (2014), paru aux Editions Liber, fait l'historique de la société de consommation et étudie en détail ce que l'auteur dépeint comme la "société de consumation". Au delà de cette analyse, Benoit Duguay nous invite à une réflexion autour de notre société de l'excès.
Il est notamment l'auteur de Consommation et nouvelles technologies (2009), Consommation et luxe (2007) et Consommation et image de soi (2005). Son dernier ouvrage Consommer, consumer. Dérives de la consommation (2014), paru aux Editions Liber, fait l'historique de la société de consommation et étudie en détail ce que l'auteur dépeint comme la "société de consumation". Au delà de cette analyse, Benoit Duguay nous invite à une réflexion autour de notre société de l'excès.